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[Critique] Gaye Su Akyol, tout feu tout flamme


Gaye Su Akyol

Anadolu Ejderi

Sorti le 25 novembre

Label Glitterbeat

Genre psyché rock / world

La beauté du folklore turc des années 1960-70 semble aujourd’hui n’avoir aucune limite, ni esthétique ni temporelle. Si elle n’est pas dépoussiérée par des labels nostalgiques et fouineurs (Bongo Joe, Habibi Funk), ce sont les artistes eux-mêmes qui s’en chargent, en équilibre entre passé et présent, tradition et modernité, Orient et Occident. Les moyens d’expression sont larges : du rock teinté d’électronique pour Lalalar, un autre branché psychédélisme et funk pour Altın Gün, ou une pop habitée pour Derya Yıldırım et son Grup Simsek. Des réinventions au milieu desquelles on trouve Gaye Su Akyol, 37 ans, née à Istanbul mais aux inspirations sans frontières. Seul son activisme est implanté.

Depuis 2014 et son premier disque, la compositrice et chanteuse stambouliote est en effet une voix qui compte pour sa génération. Un peu punk, et surtout, batailleuse dès qu’il s’agit de pointer du doigt les méfaits de l’obscurantisme et du conservatisme culturel en vogue sous Erdoğan. Mais comme l’affirme le nom de l’album, le dragon d’Anatolie est sorti de son long sommeil, prêt à cracher des flammes sur une société en perdition, afin d’en imaginer une meilleure. Au feu, donc, les excès liberticides : place à un élan de résistance qui, avant d’être collectif («le seul remède contre le Mal», écrit-elle sur Bandcamp), vient du cœur. «Il faut être profondément passionné et exprimer son amour librement», surtout dans un tel climat politique, poursuit-elle.

Chez elle, l’ardeur s’exprime à travers une musique qui souffle un vent chaud et facétieux, à rendre dingue une girouette ! Comme elle le précise, Gaye Su Akyol a compensé le triste immobilisme de la crise sanitaire pour composer, encore et encore. Sous ses griffes, les chansons s’accumulent. Et si seulement onze d’entre elles ont été retenues et rassemblées sur Anadolu Ejderi, toutes portent en elles un vif sentiment de liberté et d’authenticité. «Musicalement, cet album a été pour moi une aventure qui m’a permis de dépasser les limites connues et de rechercher des sons inédits», confirme-t-elle avec ce patchwork décoiffant.

Une musique qui souffle un vent chaud et facétieux, à rendre dingue une girouette !

Veste blanche et manches retroussées, comme une scientifique dans son laboratoire au milieu des pipettes et des fioles, Gaye Su Akyol a cherché la réaction chimique idéale. Un sacré assemblage fait de multiples éléments composites. Un tissage imprévisible où les sons de tout bord se mêlent et dansent. Anadolu Ejderi, c’est la rencontre entre la militante turque Selda Bağcan, Kurt Cobain, Led Zeppelin ou encore Portishead.

Sortis du psychédélisme et du rock à guitare, fil rouge distendu de sa production, les morceaux tirent leur force d’influences plurielles : la musique classique et folklorique du Bosphore, bien sûr, comme la folk et la pop. À cela s’ajoutent des touches plus discrètes de jazz, de disco, de grunge, de trip hop et de traditions africaines.

Pour appuyer son trio, pour le coup d’un format conventionnel (guitare-basse-batterie), la musicienne sort même les violons et l’oud, comme d’autres instruments à cordes bien de chez elle : le saz, le cümbüş, le sazbüş. Une palette sonore élargie qui habille à merveille son chant poétique de révolte, car selon elle, «il aurait été trop facile de s’asseoir dans la zone de confort du passé».

Non, sa nouvelle production est à voir comme un «manifeste», dressé face à «l’effondrement» d’un pays entier. Un cri de l’âme fait «de danse, de douleur, d’espoir, de sang, de sueur et de larmes», entouré «de chevaux sauvages». Surplombant la folle cavalerie, le dragon d’Anatolie, pour l’instant, ne cherche qu’à «raconter des histoires pour l’avenir». Mais d’un puissant rugissement, il dit se tenir prêt à les rendre concrètes un jour. Tout est possible! Gaye Su Akyol en est la preuve incontestable.

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