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« Le feu couve » pour la démocratie, estime le chercheur Alain Chouraqui


Alain Chouraqui, chercheur au CNRS, explique les dangers qui guettent la démocratie en cette crise du coronavirus. Il pose sur cette photo devant le Camp des milles, un lieu d'internement den al Seconde Guerre mondiale dans le sud de la France (Photo d'archives : AFP).

« Le feu couve » pour la démocratie, mise à l’épreuve par le coronavirus, met en garde Alain Chouraqui, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en sciences politiques et sociales.

Président de la Fondation du camp des Milles, près d’Aix-en-Provence, lieu d’internement et de déportation pendant la Seconde Guerre mondiale, il redoute une recrudescence de la violence et de l’extrémisme, mais espère qu’à terme, cette crise inédite laisse des traces positives sur l’organisation de la société.

À la lumière du passé, est-il possible que la crise sanitaire et le confinement inédit puissent déstabiliser profondément notre démocratie ?

Alain Chouraqui :  chaque crise majeure a des spécificités fortes mais on peut aussi y repérer des mécanismes communs. Nous sortons ainsi de la première étape d’un processus qui ouvre vers des possibles que l’on peut entrevoir à la lumière du passé. Cette étape est marquée par la sidération, aggravée par le confinement inattendu, par les peurs et par l’urgence vitale de protéger et de nourrir les siens.

Une deuxième étape est déjà là, avec de magnifiques solidarités mais aussi du complotisme et la recherche de coupables. Et le coupable c’est souvent un « autre », un bouc émissaire, aujourd’hui les Asiatiques, et encore les Juifs ou les immigrés.

Le risque de violences et de dérives extrémistes, sur lequel vous alertiez déjà avant la crise sanitaire, est-il encore renforcé ?

Oui, il y a un risque de violences, spontanées ou organisées, minoritaires mais déstabilisatrices. Contre les contraintes, les inégalités ou les injustices. Et la violence serait favorisée aussi par la pression psychologique de l’enfermement et des deuils.

La troisième étape est la plus dangereuse pour la démocratie. Avec les déstabilisations économiques, financières et sociales attendues, et en particulier avec l’augmentation du chômage. La tentation autoritaire peut alors croître dans un bon tiers de notre peuple, avec le besoin de croire à un « ordre nouveau » qui pourtant, dans l’Histoire, a toujours été une régression. Cette évolution peut être favorisée par l’habitude prise des atteintes aux libertés durant la crise sanitaire.

Débat d’idées et intelligence collective

Certains dirigeants essaient d’anticiper ces risques majeurs. L’injection annoncée de moyens massifs de protection sociale et de relance le confirme.

Une fois passée -bien ou mal- cette troisième étape, ce sera une phase d’ouverture des possibles. Pour le pire ou pour le meilleur. C’est pour ce meilleur qu’il faut semer les graines de l’avenir. Par le débat d’idées et l’intelligence collective.

A-t-on déjà des pistes pour imaginer à quoi ressemblera notre société « d’après », dans quelques années, une fois ces étapes passées ?

L’expérience de l’Humanité suggère plusieurs pistes après un tel ébranlement. D’abord le simple retour à la situation antérieure, avec des ajustements mineurs.

Mais il peut aussi y avoir des réformes majeures, comme après 1945, et surtout, des « traces culturelles » profondes, comme après mai 1968: sur la conscience de l’unité de destin du genre humain, y compris écologique, sur les inégalités sociales plus évidentes pendant la crise, sur la famille et le rapport à l’autre, sur la place vitale de certains métiers peu valorisés (caissières, aide-soignants…), l’idéologie économique, le rapport au temps, l’implication citoyenne…

Comment ne pas s’interroger ainsi quand on voit exploser en quelques jours des dogmes « incontournables » qui avaient soumis à une approche chiffrée les biens les moins mesurables et les plus précieux: la santé, l’éducation, la justice …? Autre exemple: Ralentir ! Ce serait une divine surprise pour ceux qui, comme moi, ont toujours alerté sur l’accélération des changements et son cortège de déstabilisations, de recherche « compensatoire » de repères autoritaires, de crispations identitaires…

Mais les tensions et les crises attendues peuvent aussi se cumuler aux tendances antérieures. Le feu couve donc pour l’équilibre sociétal et pour la démocratie. Il peut facilement flamber ou être contrôlé par la résilience collective, la parole publique, l’importance des réformes. L’expérience historique prouve que, à chaque étape, chacun peut résister efficacement à l’engrenage des extrémismes. Et le courage de beaucoup aujourd’hui est de bon augure. Mais un homme averti en vaut deux.

AFP

Le camp des Milles publie sur son site des contenus pour « mieux vivre le confinement ».

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