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Le cas Bastien Vivès déchire le monde de la BD


Plusieurs titres du dessinateur mettent en scène des mineurs face au sexe. (Photo : AFP)

Après une vive polémique qui a secoué le monde de la BD, le festival d’Angoulême a décidé mercredi d’annuler l’exposition dédiée au dessinateur vedette Bastien Vivès, accusé de promouvoir l’inceste et la pédocriminalité.

Auprès de certains de ses pairs et de personnalités engagées pour la défense des mineurs, la mise à l’honneur de Bastien Vivès au prochain festival d’Angoulême, ne passe pas.

En cause : plusieurs titres du dessinateur qui mettent en scène des mineurs face au sexe, avec des schémas parfois incestueux et des déclarations polémiques sur ce sujet.

Et mercredi, c’est sous la pression que le plus grand rendez-vous annuel de la BD a décidé d’annuler l’exposition «Dans les yeux de Bastien Vivès», qui devait ouvrir fin janvier, après avoir dans un premier temps estimé qu’il n’était pas question de modifier sa programmation.

À 38 ans, Bastien Vivès a pratiqué le roman graphique sophistiqué (Polina, 2011), le manga «à la française» (Lastman, 2013-2019) ou encore la reprise du personnage de Corto Maltese (Océan noir, 2021).

Dans Une sœur, en 2017, une fiction réaliste adaptée à l’écran (Falcon Lake, de Charlotte Le Bon, attendu au cinéma le 28 décembre), un garçon de 13 ans a des relations sexuelles, pendant des vacances en bord de mer, avec une fille de 16 ans. Bien moins réalistes, Les Melons de la colère en 2011 ainsi que La Décharge mentale et Petit Paul en 2018 montrent des relations sexuelles entre mineurs et majeurs.

Une pétition en ligne

Face à des accusations de pédopornographie, les enseignes de produits culturels Cultura et Gibert Joseph avaient cessé de vendre Petit Paul. «Aussi obscène et provocatrice qu’on puisse la considérer, cette œuvre de fiction n’a jamais pour vocation de dédramatiser, favoriser ou légitimer l’abus de mineurs de quelque manière que ce soit», s’étaient défendues les éditions Glénat en 2018.

La polémique avait enflé ces derniers jours avec le lancement d’une pétition en ligne dénonçant «la banalisation et l’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité» et exigeant la déprogrammation de l’exposition.

Elle a été lancée par Arnaud Gallais, fondateur du mouvement BeBrave France, qui milite contre l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.

«Je n’en ai rien à cirer que ce mec ait le droit de faire ses BD immondes (je ne suis pas pour l’interdire). Mais on peut demander que le principal festival de BD évite de le mettre en avant», avait estimé de son côté la militante féministe Caroline de Haas.

Une suggestion à laquelle s’est résigné le festival d’Angoulême, qui a annoncé mercredi l’annulation de l’exposition. Dans un communiqué, la direction de l’évènement a écrit : «Des menaces physiques ont été proférées vis-à-vis de Bastien Vivès. Il n’est dès lors pas possible pour l’événement d’envisager que sa programmation puisse faire peser de tels risques sur un auteur et, potentiellement, dans quelques semaines, sur ses festivaliers.»

D’anciennes prises de position exhumées

«La nécessité d’annuler cette exposition», ajoute-t-elle, est due à «des faits nouveaux (qui) ont radicalement changé la nature de cette situation», déplorant que «des intimidations apparaissent contre des membres de l’équipe du festival».

Outre certaines BD, les détracteurs de Bastien Vivès ont relevé d’anciennes prises de position. «L’inceste, moi ça m’excite à mort», lançait-il dans un entretien avec le magazine numérique Madmoizelle en 2017. Pour ses défenseurs, il est évident qu’il plaisantait.

Il ne riait pas en revanche quand il s’en prenait violemment, caché derrière un pseudonyme sur Facebook, à une autre autrice de BD, Emma, révélée en 2017 avec la publication d’une série de dessins féministes qui avait popularisé le concept de charge mentale.

«Message niveau 2 ans d’âge mental», «ne sait pas dessiner» et appels à la violence sur les enfants de la dessinatrice… Lundi, Emma republiait ces messages vieux de cinq ans et qualifiait Bastien Vivès d’auteur de plusieurs «BD pédopornographiques».

«Liberté d’expression»

Aujourd’hui, cette virulence s’est retournée contre l’auteur, qui a expliqué avoir «reçu beaucoup de menaces sur les réseaux» et avoir déposé une main courante. «J’ai largement de quoi déposer plainte.

On m’y encourage, mais je ne suis pas très procédurier», a-t-il déclaré au Parisien lundi, répétant : «Non, je ne suis pas pédophile et non, ce n’est pas mon fantasme. Si on veut lire honnêtement mes œuvres, on s’en rend compte facilement.»

La ministre française de la Culture, Rima Abdul Malak, a estimé mardi que «certains propos» passés de Bastien Vivès «ne sont pas acceptables», en disant «comprendre l’émoi», dans une interview au Parisien.

Image dégradante des femmes

Mais «ce n’est pas l’exposition en elle-même qui pose problème», a-t-elle souligné, ajoutant qu’on «ne peut pas réduire cet auteur à deux bandes dessinées et quelques phrases dites en interview».

Avant même la décision du festival d’Angoulême d’annuler l’exposition, des auteurs ont pris position dans le débat, certains soutenant Bastien Vivès, comme Jean-Marc Rochette, coauteur du Transperceneige et Grand Prix RTL de la BD 2022 avec La Dernière Reine, estimant sur Facebook que ce dernier était cloué «au pilori sans autre forme de procès».

Bastien Vivès a aussi été accusé de véhiculer une image dégradante des femmes, notamment avec le roman graphique Le Chemisier (2018) et sa série de dessins The Lesbians, postée sur les réseaux sociaux, a été supprimée en raison d’une vague de contestations.

Le festival d’Angoulême a, lui aussi, apporté son soutien au dessinateur : «Le Festival considère que l’œuvre de Bastien Vivès, dans son ensemble, relève de la liberté d’expression et qu’il revient à la loi de tracer les frontières dans ce domaine et à la justice de les faire respecter.»