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[L’album de la semaine] Ty Segall, taille patron


Drôle d’année que celle de 2023 pour Ty Segall, le plus cool des Californiens et sûrement l’un des plus productifs.

Et pour cause : il n’a sorti aucun album, chose qui n’était pas arrivée depuis 2008! Soit le début de sa carrière. C’est que le musicien, autant à l’aise à la guitare qu’à la batterie et au chant, a construit une œuvre instinctive, comme l’affiche une discographie labyrinthique, que l’on évoque les styles (noise, rock, folk…) et les projets parallèles, dont il est souvent l’instigateur (Fuzz, Wasted Shirt, GØGGS, The C.I.A.). Pas grand-chose n’est pourtant à jeter dans cette vaste accumulation d’idées, comme si pour lui, composer était un geste aussi anodin que de se brosser les dents ou faire ses lacets. Un talent brut seulement menacé par une chose : le burn-out.

Que les fans du gentil blond se rassurent : sa disparition l’année dernière des radars musicaux n’a rien d’un coup de mou. On en veut pour preuve ce Three Bells, énième production (à ce stade, on ne compte plus!), et l’une des plus plantureuses qu’il n’ait jamais faite. Les chiffres ne trompent pas : quinze chansons s’étalant sur plus d’une heure et présentées dans un double album, chose qu’il ne lui était arrivée que deux fois jusqu’à présent : avec Manipulator (2014) et Freedom’s Goblin (2018). Un nouvel et copieux objet qui a donc mis du temps à se réaliser (plus que les autres en tout cas)  et qui, en réponse, impose à l’auditeur une certaine patience pour en faire le tour et le digérer. Car Ty Segall, à la musique simple et abordable en surface, aime les expériences, souvent sans filet. Et celle qu’il propose ici est épatante.

Oui, le garçon, longtemps rangé dans la catégorie trop étroite d’agitateur de la scène psychédélique et garage américaine (à l’instar de John Dwyer des Osees), cherche depuis à s’en émarger, comme en témoignent ses récentes sorties : moins (ou quasi plus) de guitare sur First Taste (2019), des synthétiseurs dégoulinant de partout sur Harmonizer (2021) et un pur retour à la six cordes avec Hello, Hi (2022). De ce dernier disque, il va garder deux choses : la manière de faire, d’abord, comme à son habitude, à domicile et en solo, seulement entouré de ses animaux, ses amis et sa famille, dont sa femme Denée, qui le rejoint sur plusieurs titres, et dont un lui est amoureusement dédicacé (comme John Lennon pour Yoko Ono à l’époque). La guitare acoustique, ensuite, qui dirige les débats avant de se perdre dans les méandres de cet album qui ne cesse de changer de forme.

Aucune démonstration, que de la déstabilisation!

Parfois dans la même chanson, comme c’est le cas, entre autres, de The Bell en ouverture. Un morceau qui aurait pu servir à en faire trois autres, pour cinq minutes d’inventivité qui en paraissent deux fois plus. En creux, on y découvre le processus de fabrication de Ty Segall : ça démarre souvent tranquille, en mode acoustique, avant que l’électricité et la batterie ne chahutent l’atmosphère pour aller s’encanailler sur les terres du «heavy» et du «prog rock». Mais attention, on n’est jamais dans la démonstration, mais bien dans une politique de déstabilisation. Tous les titres semblent en effet avoir une destinée commune : celle d’être malaxés, tordus, agités. Plus que des mots, une image, celle du clip de Eggman sur lequel il s’enfile des œufs à la chaîne. Au bout d’un moment, le haut-le-cœur déforme sa voix et ralentit dangereusement la musique. Avant la fin peu ragoûtante que l’on imagine…

Simple et efficace, mais également bien senti avec ses structures qui se font la malle, ses riffs qui grésillent et ses sonorités en mouvement permanent, Three Bells est un disque troublant, un peu comme une visite au palais des glaces d’une fête foraine, avec tous ses miroirs déformants. C’est à la fois imprévisible et fun! Logique que sur la pochette, le reflet du visage de Ty Segall n’y est pas net, troublé et troublant, comme la promesse d’autres surprises à venir. Lui qui va sur ses 37 ans ne veut sûrement pas entendre parler de maturité, ni de pondération. Punk un jour, punk toujours!

 

Ty Segall – Three Bells

Sorti le 26 janvier

Label Drag City

Genre rock