Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter le dernier album de Helado Negro, Phasor, sorti le 9 février sur le label 4AD.
C’était un jour de juin 2022. Sous un soleil généreux, le parvis des Rotondes promettait un bel été, et dans la salle, l’atmosphère était encore plus chaude, moite même. Une touffeur de jungle d’où allait alors surgir un drôle d’animal : Roberto Carlos Lange, alias Helado Negro. Avec sa guitare, qu’il caresse avec délicatesse, et dans une présence discrète, il allait hypnotiser l’auditoire, au point que celui-ci se demande toujours combien de musiciens l’accompagnaient sur scène… Attirant tel un aimant tous les regards, le musicien offrait ici un voyage aux frontières du réel, un peu spirituel, évidemment intime et totalement «à la cool». Autant de qualificatifs qui collent bien à l’homme et à sa musique, en lévitation.
C’est pourtant dans la douleur et la patience qu’il s’est fait un nom, son premier album remontant déjà à quinze annnées (Awe Owe). Deux, finalement, lui serviront de tremplin pour mieux asseoir son talent et sa singularité : This Is How You Smile (2019), d’abord, qui lui a valu une certaine reconnaissance au-delà de son New York d’adoption.
Dans la foulée d’une signature chez le prestigieux label 4AD, il enchaîne avec Far in (2021), disque plus dense dans la forme, mais plus aéré et souple que le précédent dans le fond. Ils partagent toutefois la même bonne idée : celle qu’a eue Helado Negro d’incorporer une batterie et une basse à sa palette, trop longtemps dépendante des synthétiseurs. Et trop volatile.
Cet album, c’est une forme de retour à la vie
Toutefois, parler de cadre avec lui est un exercice ardu, surtout à la vue de ce qu’il sait faire de mieux : défier les lois d’une pop «premier degré» et celles, plus générales, de la gravité. Avec lui, en effet, on plane en plein rêve éveillé, dont la BO serait faite d’une folk épurée, d’une électronique tranquille et d’un groove «lo-fi», sans oublier des sonorités latines en filigrane (ses parents sont équatoriens), tout aussi apaisées. Ajoutez à cela une science pour les boucles mélodiques, et vous obtenez au bout un joli nuancier atmosphérique et méticuleusement exécuté. Huitième production de ce gentil multi-instrumentiste, Phasor se veut le témoin de tout ça, et il y parvient avec ses ballades envoûtantes.
Cet album et ses neuf titres portent en eux une double origine : la découverte en 2019 du Sal-Mar, synthétiseur monumental unique au monde, créé cinquante ans auparavant, conservé à l’université de l’Illinois et considéré comme la première «machine à composer» interactive. En s’y frottant, Helado Negro a le vertige : la simplicité et la répétition (sur le plan lyrique et mélodique) seront au centre de son nouveau disque.
Puis arrivent la pandémie, les confinements et l’isolement, poussant le musicien, désormais installé à Asheville, en Caroline du Nord, à parler d’amour. Ou du moins celui raté ou empêché par la crise sanitaire. En somme, une production en forme «de retour à la vie, où l’on se souvient de la sensation du soleil sur sa peau», écrit-il ainsi sur Bandcamp.
Début mars à la Kulturfabrik
Oui, il y a du cœur et beaucoup de bienveillance sur Phasor, mais au-delà de toute théorie, on y décèle avant tout une écriture fine et inspirée. Celle d’un compositeur qui a accumulé de la confiance au fil de sa carrière, et la certitude de pouvoir accoucher de chansons avec peu de moyens.
Car qu’elles soient folk, rock (la superbe LFO), un peu soul (I Just Want to Wake up With You), électroniques ou branchées tropicalisme (NDLR : le mouvement psyché né dans les années 1960 au Brésil), celles-ci partagent un point commun : une sobriété et une beauté de tous les instants. Autant alors s’y attarder un peu, quitte à se perdre dans la contemplation.
Un peu de légèreté dans un monde turbulent, voilà la philosophie d’un artiste qui fera son retour au Luxembourg début mars à la Kulturfabrik. Au public de se laisser subjuguer par l’élégante invitation. Du haut de son nuage, Helado Negro veillera lui à ce que la soirée soit pleine d’étoiles.