« Zanzim » revient en librairie, après son diptyque « Ma vie posthume », avec « L’Île aux femmes », un album surprenant et élégant paru aux éditions Glénat.
L’histoire part du fantasme de l’homme qui arrive sur une île déserte. Un endroit pas si désert, puisque peuplé par une horde d’Amazones hostiles… (Illustrations : DR)
Céleste Bompard est un as de la voltige. Des prouesses qui lui valent un large succès auprès de la gent féminine. Engagé alors que la Grande Guerre éclate, il est chargé de transporter les lettres que les soldats du front écrivent à leurs femmes.
Mais lors d’une mission, il est victime d’un tir ennemi et son avion se crashe sur une île mystérieuse. Obligé de survivre dans cet endroit visiblement désert, il trompe son ennui en lisant les lettres que les poilus destinent à leurs femmes. Un jour, en parcourant les lieux, il découvre un jardin d’Éden entièrement peuplé de femmes ! Une histoire et un album que présente Frédéric Leutelier, alias « Zanzim ».
> Vous avez trouvé une manière très particulière pour parler de la Grande Guerre en cette période de commémorations de son centenaire. Comment est né cet album « L’Île aux femmes » ?
« Zanzim » : Il y a eu plusieurs choses qui ont fait naître cet album. D’abord, le constat que, à 40 ans, je n’avais toujours pas fait de BD tout seul et je voulais me prouver que je pouvais faire un album sans l’aide d’un scénariste. Pour ça, il fallait quelque chose à raconter et je me suis dit que je voulais faire un sujet autour des femmes, un peu comme dans ces soirées où on peut discuter sur les différences entre les hommes et les femmes, sur les comportements des uns et des autres, sur ce que les uns font ou pas…
De là est venue cette idée d’un personnage macho qui se retrouve sur une île peuplée d’Amazones hostiles. C’était ça le point de départ de ma BD.
> Et pourquoi placer ça en 1915, pendant la guerre, alors ?
C’est venu ensuite. Il y a d’abord eu l’idée de l’île et le personnage. Après, il fallait acheminer le personnage sur cette île et c’est là qu’est venue l’idée de la guerre et des lettres que le personnage pourrait lire aux Amazones. Des lettres de poilus.
> Ça commence comme un album, certes pas réaliste, mais proche de la réalité, avant de bifurquer vers un imaginaire riche, fait d’aventure, d’île déserte, d’Amazones… C’est quoi ? Un fantasme d’enfant ?
C’est tout un univers qui a été nourri de beaucoup de films d’action et d’aventure que j’ai découvert lors de La Dernière Séance (NDLR : émission de télévision française diffusée entre 1982 et 1998, essentiellement consacrée aux classiques du cinéma américain). J’ai donc voulu partir d’un cliché pour ensuite m’en éloigner.
> Quel cliché ?
Le fantasme de l’homme qui arrive sur une île déserte. Et le cliché, c’est de se dire que tout se passera bien, alors que, en vrai, ça ne doit pas être si facile que ça.
> Comment avez-vous créé le personnage de Céleste Bompard, ce pilote, roi de la voltige, et qui va se crasher sur cette île aux femmes ?
Je l’ai imaginé comme un poids coq français, avec sa petite moustache, qui fait penser à la boxe française d’antan. Un personnage sûr de lui, avec un côté présomptueux, qui va être amené à changer par la suite.
> Mais vous ne vous êtes pas inspiré de pilotes réels ?
Non, non. J’ai fait quelques recherches sur des pilotes pour appuyer mon propos, mais c’est tout.
> Au départ, quand Céleste arrive sur l’île, il va d’abord se trouver seul à la Robinson Crusoé. Puis il découvrira une partie cachée de l’île où vivent toutes ces femmes et se retrouvera prisonnier de ces Amazones. Mais ensuite, grâce à la cuisine française et à la lecture qu’il fait de lettres d’amour que des poilus ont écrites à leur femme, il améliore sa situation. Ces lettres de soldats, vous les avez créées ou sont-elles tirées de la réalité ?
Je les ai écrites. C’était le plus gros challenge de l’album. Mais là, oui, je me suis pas mal renseigné sur les lettres de Poilus. Ce sont des lettres qui parlent beaucoup des horreurs de la guerre, et moi, je voulais trouver le bon mélange entre un récit guerrier – pour que ça puisse parler aux Amazones – et des lettres d’amour pour que ces guerrières puissent ouvrir leur cœur. C’était amusant d’écrire ces lettres d’amour un peu fleur bleu comme on pouvait le faire quand on était ado.
> Sans trop dévoiler la fin de l’album, on peut dire qu’il y a plusieurs niveaux de récit. On est dans de l’imaginaire de l’imaginaire. Au point qu’on s’y perd un peu et qu’on ne sait pas vraiment, finalement, quand commence le troisième niveau de récit…
C’est vrai que j’aime bien quand il y a plusieurs niveaux de lecture, plusieurs niveaux de récit. J’aime quand on est un peu perdu dans l’histoire. Quand il échoue sur l’île, d’ailleurs, si on réfléchit bien, ce n’est pas trop possible, il n’était pas dans ce coin-là. Mais ce sont des choix artistiques que le lecteur doit accepter. Il doit accepter de se laisser un peu piéger par les rebondissements qu’on propose. Il faut amener les choses de manière à ce que ça surprenne le lecteur, d’où le fait qu’on ait décidé de mélanger ou intervertir certains passages.
> Parlons image. Il y a d’un côté ces nez énormes, qui font penser aux BD de Christophe Blain, des aplats de couleur surprenants malgré des décors assez présents, un aspect même naïf…
Oui, c’est quelque chose que j’ai en moi ce côté naïf. Ça fait partie de mon dessin. Après, concernant la ressemblance avec l’univers de Blain, je dis oui. On est de la même génération, on est tous les deux fascinés par le cinéma. On a, enfants, regardé les mêmes dessins animés, etc. Je qualifie mon style d’héritage de ligne claire décomplexée.
> L’album est aussi une ode aux femmes. Sous votre crayon, elles ont toutes les tailles, tous les tours de taille, toutes les couleurs… mais vous les rendez toutes belles et désirables, comme dit d’ailleurs Céleste dans l’album…
Oui, je ne voulais pas me limiter au fantasme de la grande blonde à forte poitrine, mais parler de toutes les femmes et montrer que tous les corps sont séduisants.
Entretien avec notre journaliste Pablo Chimienti