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La scène metal luxembourgeoise se raconte


Infact.

Ils sont six, aux styles et motivations différents, à s’être pris au jeu: Infact, The Majestic Unicorns from Hell, Sublind, An Apple a Day, Everwaiting Serenade et Abstract Rapture. Tous, plus ou moins établis au Luxembourg, ont leur mot à dire sur l’évolution de la scène metal au pays. Rassemblés samedi 24 octobre pour le traditionnel Bang Your Head, ils y vont chacun de leurs messages.

Le metal, depuis de nombreuses années, est une fierté au Luxembourg, avec des groupes nombreux et talentueux, à la fois influencés par le grand frère allemand, le puissant cousin américain, les originalités des satellites français et anglais, sans oublier la rudesse et la rigueur de l’allié scandinave. Autant d’humeurs et d’orientations musicales assimilées par tout un réservoir qui ne cesse de grandir et de s’affirmer, la raison, sûrement, à la propre évolution que connaît, dans la discipline, le Grand-Duché.

« C’est clair que tout ce beau monde a bien grandi, et de manière spectaculaire! », lâche Ken Pletschet, du collectif Schalltot, organisateur de Bang Your Head, qui s’est concentré cette année sur ce qui se fait de mieux en la matière au pays, à deux-trois exceptions près. « C’est, d’une certaine manière, une édition « dédicace » , poursuit-il. Les groupes metal, ici, sont très actifs et devenus, au fil du temps, professionnels. Ils méritent tous, comme tant d’autres, de jouer sur une scène digne de ce nom, de se montrer, de se présenter… C’est pour cela que ce festival, à voir comme une plateforme, est essentiel. »

Everwaiting Serenade.

Everwaiting Serenade.

Le passionné reconnaît que le choix pour le line-up n’a pas été simple. Il a quand même tranché : « On a choisi ceux qui avaient quelque chose à présenter, soit un nouvel album, soit un nouveau membre. » C’est ainsi qu’une belle brochette de formations live a été concoctée, avec Infact, The Majestic Unicorns from Hell, Sublind, An Apple a Day, Everwaiting Serenade (qui a récemment fêté ses 10 ans) et Abstract Rapture. Six groupes pour autant de directions stylistiques, entre instrumental, hardcore, trash, heavy et d’autres penchants parfois obscurs. Les six mêmes qui se sont penchés, avec enthousiasme, sur le développement du genre qui ne cesse de prendre des galons et de la lumière.

Alors qu’avant, se souviennent-ils d’une même voix nostalgique, toute l’activité dépendait du bon vouloir du gérant de café, parfois bougon face aux décibels, et des bars militants (comme le 911 à Belvaux), aujourd’hui, le metal est reçu avec le tapis rouge, comme récemment à la Philharmonie, ou bientôt, aux Sonic Visions de la Rockhal. Autant d’attentions qui valorisent ses représentants et leur donnent des armes pour mieux croire à leur potentiel et rêver, pour certains, d’ailleurs.

Sublind.

Sublind.

Il y avait, il n’y a pas si longtemps, de fiers «explorateurs», comme Defdump ou Eternal Tango. Il y a aujourd’hui des têtes brûlées, à l’instar de Scarred ou, il est vrai dans un autre genre, Mutiny on The Bounty. Tous, en tout cas, partagent cette envie d’aller en découdre dans le mosh, de faire crier la guitare, de jouer de la double pédale, de bouger la tête de haut en bas, de boire une bière avec leurs potes devant les enceintes, de respirer l’air frais en dehors du Grand-Duché et de sortir le metal des clichés qui lui collent à la peau. Une « grande famille » qui aime rigoler et transpirer sous les projecteurs.

Grégory Cimatti

Quelle est l’évolution de la scène et de ses acteurs ?

Eric (An Apple a Day) «Le Luxembourg a toujours été d’un haut, très haut niveau musical. En raison de sa petitesse, on a sûrement tendance à avancer plus vite qu’ailleurs : on doit être à jour par rapport au voisin…»

Marc (Infact) «Déjà, on trouve plein de styles différents. Ensuite, la Rockhal et la Kulturfabrik s’engagent énormément dans la scène et permettent aux groupes de jouer de plus en plus. Mais il manque la participation des cafés, qui, au fil des années, disparaissent. Difficile, aujourd’hui, de trouver de petits endroits sympathiques pour jouer. La qualité, elle, reste excellente. Si on regarde Scarred, comment il joue et ce qu’il joue, ça calme…»

Drittt (Abstract Rapture) «Par rapport au tout début, y a pas photo : l’évolution est considérable. À l’époque, c’étaient des cafés qui vous ouvraient leurs portes, mais il fallait rapporter la sono! Certes, l’Atelier existait, mais il fallait s’appeler Defdump pour y jouer… Maintenant, vous pouvez faire plein de choses, avec du bon matériel, à la Rockhal et à la Kulturfabrik. Saluons aussi L’Entrepôt, près de chez moi, à Arlon.»

Abstract Rapture.

Abstract Rapture.

Rol (Sublind) «J’ai toujours trouvé le niveau élevé, et ça fait 18 ans que je suis actif dans la scène. Les groupes sont travailleurs et patients : deux qualités pour produire une musique qui se tient et se mérite!»

Dhiraj (Everwaiting Serenade) «Un gros bond en avant. Le son, l’organisation, la qualité des groupes, tout a évolué. Ce qui me manque, toutefois, c’est le côté underground du metal, l’aspect un peu pourri et brutal des petits cafés. C’était sale, mais honnête. Les grandes scènes ouvrent certes leurs portes, mais j’ai un peu la nostalgie de l’intime.»

Thierry (The Majestic Unicorns from Hell) «Les musiciens sont de plus en plus professionnels. Même les enregistrements, comme les pochettes d’albums, sont de grande qualité. Il y a de quoi se demander si ces gens font un autre travail à côté (il rit) .»

Est-il facile de jouer à l’étranger ?

Eric (An Apple a Day)

«Ça dépend de sa motivation, de ses attentes et de comment on se bouge le cul! Ce n’est sûrement pas quelqu’un d’Allemagne ou d’Angleterre qui va venir sonner à nos portes! C’est à soi-même de construire son réseau pour diffuser sa musique et se « vendre ». Personne d’autre ne peut le faire à votre place. Une méthode fonctionne dans les limites de la Grande Région. Après, au-delà, faut voir… Il faut quand même de solides appuis.»

An Apple a Day.

An Apple a Day.

Marc (Infact)

«Certains groupes sont très engagés pour faire leur promotion à l’étranger. Mais c’est difficile de se faire un nom. Il faut faire des efforts, sachant que chaque pays a ses propres formations. Mais ce n’est pas impossible. Scarred, il y a une semaine, était en tournée en Angleterre. Mutiny on the Bounty aussi.»

Drittt (Abstract Rapture)

«C’est de moins en moins difficile, grâce aux réseaux sociaux. C’est d’autant plus vrai que le Luxembourg a un potentiel énorme. Les groupes sont tous de qualité. Pas sûr qu’un autre pays en Europe ait autant d’excellents musiciens au kilomètre carré! Ce n’est un secret pour personne. C’est ce qu’on entend régulièrement entre Liège et Metz. Et certains, comme Eternal Tango ou Scarred, ont ouvert –  ou ouvrent  – des portes pour les autres. Reste à s’y engouffrer.»

Rol (Sublind)

«C’est un sujet compliqué. Il nous manque, au Luxembourg, une véritable industrie musicale, genre labels, maisons de disques… C’est pourtant comme ça que cela fonctionne. Sans ce type d’appuis, on ne va pas loin. Et ailleurs, pas sûr que l’on attende les groupes luxembourgeois  : chaque pays a son réservoir. Reste alors la débrouille… et le courage.»

Dhiraj (Everwaiting Serenade)

«Tout tient à votre seule personne. On est clairement dans le DIY (Do it yourself). Musix:LX (NDLR  : bureau d’export pour la musique « made in Luxembourg ») a ses bons côtés, mais il n’y a pas de place pour tout le monde. En outre, il faut avoir de l’argent et ne pas craindre l’investissement, humain comme financier, comme l’a fait Mutiny on The Bounty. Les subventions que l’on peut parfois toucher ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan. Et puis, avoir un label ou d’autres structures qui vous encadrent, c’est, d’une certaine manière, perdre une partie de son âme. Mais les possibilités sont là.»

Thierry (The Majestic Unicorns from Hell)

«C’est plus facile de joindre des gens, grâce aux réseaux sociaux. Mais ça reste difficile. Beaucoup de groupes sont bons, et en tant qu’organisateur, on a de nombreuses possibilités. En Angleterre, certains clubs ont ainsi mis en place une formule qui s’appelle « pay to play », comprendre qu’un groupe doit payer pour jouer. Déjà qu’on n’a pas grand-chose dans les poches, de quoi vit-on alors? Dans ce sens, notre dernière tournée avec les Kitshickers –  entre Lille, Londres et Brighton  – était juste pour le fun. Sûrement pas pour le succès!»

Le metal souffre-t-il des clichés ?

Thierry (The Majestic Unicorns from Hell) «Non, on ne fait plus peur. Même mes parents viennent à mes concerts, alors que mon père est fan de classique… S’il y a un cliché persistant au Luxembourg, c’est celui qui dit qu’on aime (trop) faire la fête. Mais c’est plutôt une vérité : on ne va pas à un concert pour s’ennuyer! En outre, le plus souvent, les gens croient que le metal parle de sujets qui fâchent, sur le mal-être ou des trucs comme ça. Qu’ils viennent voir mes amis : ils se portent tous bien!»

The Majestic Unicorns from Hell.

The Majestic Unicorns from Hell.

Eric (An Apple a Day) «À l’époque, dès qu’il y avait un carnage dans une école, c’était la faute à Marylin Manson ou à Korn, que les étudiants écoutaient beaucoup. Aujourd’hui, ça s’est heureusement calmé. Apparemment, les gens ont trouvé d’autres sujets de discussion. Tant mieux!».

Marc (Infact) «Encore un peu. Quand on se rend sur un festival comme le Rock-A-Field, très pop, hip-hop et électronique, on ne peut pas dire que les groupes de metal sont beaucoup mis en avant, même si il y en a… Personnellement, je me sens toujours un peu à l’extérieur. Bref, il y a encore de la place à se faire. Qu’on se le dise : on n’est pas des fous, et en plus, on fait de la bonne musique.»

Drittt (Abstract Rapture) «La traversée du désert s’est surtout passée au cours des années 2000. Ça va mieux aujourd’hui. On n’est plus dans les clichés du gars avec le tee-shirt de Slayer dans les films américains… Le metal est plus respecté, car il est plus visible et mieux représenté. Oui, il s’est démocratisé… dans le bon sens du terme.»

Rol (Sublind) «Le metal est plus accepté. Il y a dix à 15 ans, on était encore dans l’ombre, avec moins d’opportunités, et pas seulement au Luxembourg. Aujourd’hui, un festival comme le Wacken est connu dans le monde entier. C’est un signe, non?»

Dhiraj (Everwaiting Serenade) «Quand on discute avec la presse ou d’autres personnes, on évite rarement les questions débiles, genre « pourquoi vous criez ou pourquoi vous vous habillez en noir? ». Sérieusement… En même temps, l’ouverture d’esprit est de plus en plus observable, peut-être aussi parce que la musique est devenue plus abordable.»

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