À Villerupt, la distanciation sociale n’efface pas la proximité que le festival entretient avec son public. Le festival du Film italien déroulera bel et bien une 43e édition qu’il promet superbe, riche et, forcément, unique en son genre.
Non, le Covid-19 n’aura pas la peau du festival du Film italien de Villerupt ! L’air amusé, Oreste Sacchelli entre dans la salle du cinéma Rio quelques minutes avant la conférence de presse en déclamant des vers de Paul Verlaine : «Votre âme est un paysage choisi / Que vont charmant masques et bergamasques…» Les mesures sanitaires risquaient d’éclipser l’habituel gros morceau des annonces annuelles du festival – le contenu de la programmation – et si elles ont occupé une place importante parmi celles-ci, il était nécessaire de savoir à quoi le public doit s’attendre.
Que ce dernier se rassure : malgré le caractère transdépartemental et transfrontalier du festival, les mêmes règles seront appliquées partout. Et personne ne sera dépaysé : la distanciation sera de mise entre les spectateurs ou les groupes de spectateurs, les masques seront obligatoires pour tout le monde, l’accès aux salles et leurs sorties seront réorganisés, le gel hydroalcoolique mis à la disposition des visiteurs et obligatoire dans tous les lieux du festival…
Le délégué général, Antoine Compagnone, précise que ce «protocole sanitaire a été remis à la préfecture (de Meurthe-et-Moselle). Compte tenu de la situation actuelle, celle-ci ne donnera sa réponse que deux jours avant l’ouverture du festival.» De quoi s’inquiéter un tout petit peu, quand même. «C’est pas gagné, mais nous sommes sur la bonne voie», ajoute-t-il, rassurant.
Tant mieux, alors, car le Covid-19 n’a pas empêché le festival de proposer une programmation très riche, quoiqu’un peu moins fournie qu’à l’ordinaire. «Nous sommes à 75 films habituellement, développe Oreste Sacchelli, le directeur artistique, mais nous avons moins de séances et une salle en moins» : le Cinémobile, le fameux camion qui trône en face de l’hôtel de ville. Surtout, le festival devra se passer, cette année, d’invités – avec quelques rares exceptions – et de jury.
D’euphories en déceptions
«Le seul Amilcar (NDLR : récompense officielle du festival) qui sera remis cette année le sera à Cristina Comencini», réalisatrice et romancière habituée du festival, qui a montré la majorité de ses treize films. La programmation sera donc répartie entre quatre catégories (contre six, habituellement) pour un total de 56 longs métrages. Moins de films, d’accord, mais beaucoup quand même. Et une qualité qui risque d’exploser les standards – déjà très hauts – du festival, sous le regard espiègle d’Alberto Sordi, à qui il sera rendu hommage à travers dix films à l’occasion du centenaire de la naissance de cette légende de la comédie italienne, et qui figure sur l’affiche du festival.
«La saison cinématographique fut assez riche» en Italie, annonce Oreste Sacchelli. «Les Italiens étaient même euphoriques de voir les gens se rendre au cinéma pour voir de très bons films, et le festival de Berlin s’en est fait l’écho.» Des films italiens présentés à la dernière Berlinale, deux ont été récompensés. Bien sûr, Volevo nascondermi (Ours d’argent du meilleur acteur pour Elio Germano) et Favolacce (Ours d’argent du meilleur scénario) font partie de la sélection «très colorée» du festival, qui proposera de la comédie populaire bien sûr, mais aussi du documentaire, du film historique… jusqu’au thriller.
Pour la section «Panorama», qui jette un regard sur la saison cinématographique passée, où les succès italiens du box-office côtoient des coups de cœur plus «auteurisants», comme pour la «Sélection 2020» (qui remplace donc la compétition), l’équipe du festival exprime sa «déception de voir des films vendus aux plateformes» de streaming. Parmi ceux-ci, le Pinocchio de Matteo Garrone, distribué en France sur la plateforme d’Amazon pendant le confinement, ou 18 regali de Francesco Amato, acheté par Netflix.
«Des projets dans la poche»
Des deals d’autant plus énervants que la crise sanitaire a mis la pagaille dans les calendriers des festivals et des sorties, rendant indisponibles «un certain nombre de films que nous aurions pu négocier comme le dernier film de Carlo Verdone (Si vive una sola vita), qui sortira finalement à Noël, ou le nouveau Nanni Moretti (Tre piani), qui aurait dû être à Cannes», déplore Oreste Sacchelli. On peut discuter la prise de position du festival alors que le streaming a été sans aucun doute la meilleure solution (et l’une des rares) pour continuer à faire vivre le cinéma pendant la pandémie, en particulier dans le contexte de l’Italie, qui, faut-il le rappeler, a été le pays le plus durement touché en Europe. Mais si le cinéma doit se vivre dans les salles à tout prix, alors on ne connaît pas meilleur endroit qu’un festival. Villerupt le prouve maintenant plus que jamais.
Eu égard à la situation actuelle, cela a tout l’air d’une conséquence. Mais ce n’est peut-être qu’un simple hasard : ce 43e festival de Villerupt comptera onze avant-premières et treize inédits, un nombre jamais atteint dans l’histoire de l’évènement. «On tenait à ce que cette édition ait lieu comme une véritable édition», précise Oreste Sacchelli, alors même que la tenue du festival était incertaine jusqu’en juin, ayant été envisagée sous une forme «au rabais», complète Antoine Compagnone, à savoir, sur huit jours (au lieu de deux semaines) et avec beaucoup moins de films.
Mais la pandémie a ouvert de nouvelles possibilités à Villerupt. La «Sélection», par exemple, «est un système que l’on gardera sans doute dans les années futures pour mettre en avant nos choix de programmation», prévoit Oreste Sacchelli. «Nous avons encore des projets dans la poche pour l’année prochaine, mais on espère que la 44e édition pourra se dérouler selon le rythme normal du festival», ajoute-t-il. Nous aussi.
Valentin Maniglia
Le 43e festival de Villerupt (du 23 octobre au 8 novembre) a opéré une baisse de son budget d’environ 150 000 euros. Un montant conséquent pour un budget qui tourne habituellement autour de 600 000 euros. Outre le nombre réduit d’invités et l’absence de jury, exit le bar et l’espace restauration, remplacés par deux food trucks et une buvette en extérieur.
Le catalogue du festival, lui, sera «remplacé par un livret d’une quarantaine de pages», informe Antoine Compagnone.