Jusque-là limitée à un rôle de « vitrine » pour l’art contemporain, la Konschthal Esch ouvre ce week-end ses espaces au public, qui va pouvoir apprécier ses envies débridées. Une entrée en matière XXL, sur le fond comme la forme.
Il y a cette devanture lumineuse, aux vitres immaculées, qui aveugle quand le soleil donne. Et depuis quelques jours, comme pour s’annoncer dans un fracas, c’est le boulevard Prince-Henri qui fait les frais de son ouverture, coupée de la circulation en raison de l’installation d’une scène en extérieur. Juste en face, sous la voie ferrée, comme dans certains endroits à Esch-sur-Alzette, il y a encore ce logo qui interpelle. Oui, la Konschthal Esch passe difficilement inaperçue, et c’est bien ce qu’elle cherche.
Voilà déjà un an que l’ancien Espace Lavandier a été vidé de ses meubles. Autrefois dédié « au conseil en décoration d’intérieur », il se serait sûrement indigné devant l’acharnement du nouveau propriétaire à tout décaper, du sol au plafond, dans une mise à nu totale des espaces. Quant aux canapés, ils s’apprécieront dès lors comme amuse-gueule durant les vernissages. Interrompu toutes les cinq minutes par une équipe sur les dents, Christian Mosar, directeur artistique des lieux, pose l’ambiance.
« On avance à un rythme de dingue! Cette ouverture est si vite arrivée », souffle-t-il, avant d’assener, dans un coup d’œil circulaire et pour se rassurer : « On est à fond ! ». Selon son expertise, le gros de l’activité a démarré il y a cinq mois, après notamment une mise en conformité du bâtiment. « On part de zéro », soutient-il, toutefois enthousiaste devant la débauche d’énergie du collectif « noc.turn », en résidence sur place depuis mars, collaborateur essentiel et cheville ouvrière attaché à l’événementiel. C’est qu’il faut de l’entrain pour occuper près de 2 400 m2 (dépôt compris).
Trois camions et seize tonnes de matériel
Jusqu’alors, la Konschthal n’existait que par sa façade et ce qui s’y trouvait derrière, à travers le bien nommé cycle « Schaufenster » (« vitrine »), entamée il y a un an. En l’occurrence trois expositions visibles depuis le trottoir, sorte d’appât ou de mise en bouche, c’est selon. « Que les œuvres soient là avant que le bâtiment ne soit terminé », synthétise Christian Mosar, qui estime d’ailleurs la fin des travaux pour la mi-2022. Ce qui n’empêche en rien, aujourd’hui, d’inaugurer cet espace impressionnant, courant sur quatre niveaux, avec ses escaliers enchevêtrés et ses portes dérobées.
Un « vrai labyrinthe » pour ceux qui s’y égarent, surtout que le directeur et son équipe ne comptent pas réfréner leurs envies, comme en témoigne un premier invité « de prestige », sacré Lion d’or à la biennale de Venise avec le pavillon allemand en 2001, et du genre lui aussi à afficher ses ambitions démesurées. « Gregor Schneider, c’est seize tonnes de matériel, coincées dans trois gros camions ! On a dû faire venir des déménageurs… J’avais un peu peur. On s’est tout dit : « mais comment on va faire rentrer tout ça ici? « »
Histoire d’ajouter un peu de stress à l’affaire, les autres exposants, Lisa Kohl et Daniel Reuter, duo luxembourgeois qui s’est affiché tout l’été aux Rencontres de la photographie d’Arles, sont arrivés avec leurs créations cette semaine, le festival s’étant terminé dimanche dernier. « On a seulement tout monté hier (NDLR : mercredi), grâce à l’appui d’une équipe technique indépendante », énonce Christian Mosar.
Entrez, c’est gratuit!
Bien heureusement, tout semble prêt pour le jour J, même si la thématique choisie pour les prochains mois, celle de la transformation, permet de se donner quelques largesses en cas de retard sur le chantier. Détails derrière lesquels le directeur artistique ne se cache pas : « C’est un poids lourd que l’on expose, dit-il en référence à Gregor Schneider. C’est le genre d’artiste que l’on pourrait retrouver au Mudam ou dans un gros musée. » Il tient toutefois à préciser : « Certes, les œuvres exposées sont de haut standing, mais elles restent accessibles. Pas besoin d’avoir visité cinquante salles d’art contemporain pour voir et comprendre ce qui se passe ici ! On trouve beaucoup d’œuvres, des images, des installations, qui parlent d’elles-mêmes. »
Car en s’implantant entre le quartier du Brill et celui de la Grenz, terre d’immigration où l’on dénombre de nombreuses nationalités (portugaise, italienne, cap-verdienne…), de surcroît située à quelques encablures de la frontière française, la Konschthal Esch doit apprendre à connaître ce public, et par ruissellement, éviter de « tomber dans l’élitisme », martèle Christian Mosar. D’où la gratuité de ses expositions et la présence de 28 modérateurs pour faciliter leur compréhension. « Ce qui compte pour rentrer ici, c’est juste d’être curieux », lâche-t-il – expression qui, avouons-le, ferait un bon slogan.
Un regard aiguisé sur le territoire, pour une implantation qui chacun souhaite sensible, qui ne se fera toutefois pas seul. Ainsi, dans la programmation, on retrouvera régulièrement ce mélange entre artistes internationaux et nationaux, afin de « mobiliser » la communauté locale. Et si en cette ouverture, « seules les œuvres comptent », à l’avenir, on n’oubliera pas de les encadrer d’initiatives du cru, comme c’est notamment envisagé, à l’occasion d’une prochaine exposition estivale sur le design. « On a l’intention de travailler avec le FerroForum pour ses ateliers et l’écovillage BENU pour ses capacités à récupérer le matériel », poursuit-il.
Une journée idéale à Esch 2022
N’oublions pas dans le lot le futur Bridderhaus, également dirigé par Christian Mosar, censé servir de lieu de résidence et d’espace d’ateliers, afin de développer, avec tous les acteurs cultuels de ville, une « synergie ». Car Esch 2022 approche à grands pas, et d’ici février, il va falloir penser collectif, et agir comme tel. « Avec la série d’institutions déjà existantes ou nouvellement créées, il y aura de bonnes raisons de venir ici! »
Dans le meilleur des cas, l’ancien directeur artistique de la capitale culturelle européenne (poste qu’il a quitté en mai 2020) s’imagine déjà ce qu’un visiteur venu de l’étranger pourrait y faire durant une journée ou même un week-end complet. « Il irait visiter un musée, au théâtre et voir un concert à la Kulturfabrik. Et s’il vient en famille, il pourra se rendre à l’Ariston. » Et la Konschthal dans tout ça? « On compte jouer notre rôle, profiter de cette vitrine internationale » et qui sait, « devenir un lieu de référence de l’art au Luxembourg et dans la zone des trois frontières ».
Une perspective attrayante qui, si elle mettra sûrement du temps à se dessiner, bénéficie aujourd’hui du soutien sans faille de la ville – la Konschthal comme le Bridderhaus étant financés par la commune, bien que le mécénat privé soit une piste envisagée dans le futur. « Esch-sur-Alzette considère la culture comme moteur de développement, clame Christian Mosar. Elle y consacre cette année 18 % du budget communal – au niveau national, c’est 0,9 %, soit 25 fois plus ! C’est quand même pas mal pour une ville de 37 000 habitants. » Des habitants, justement, qu’il faudra cerner et prendre en compte pour ne pas sombrer dans l’entre-soi. Les paillettes sont certes jolies, mais elles ne renforcent en rien le tissu territorial. Tel sera le vrai défi à mener, aussi bien pour la Konschthal que pour Esch 2022.
Ce qui compte pour rentrer ici, c’est juste d’être curieux
Musique
Jaime Joaquim
Church of Analogue
Naomi Ayé
Chaild
Zalindê
Seed to Tree
Irène Drésel
Planetary Peace
DJ Riven
Discussion
Gregor Schneider, Raimund Stecker et Christian Mosar
Spectacle jeune public
«Histoire en bois» – Compagnie Moustache
Informations et horaires
www.konschthal.lu