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Konschthal Esch : du lèche-vitrine pour l’amour de l’art


L’œuvre Das Wunder, de l'artiste autrichien Alfred Barsuglia, a été créée pendant le confinement., à Vienne, où l'artiste réside et travaille. (Photo : Alfredo Barsuglia)

La Konschthal n’ouvrira ses portes qu’à l’automne 2021, mais le bâtiment commencera à proposer de l’art dès samedi, avec le début du cycle d’exposition «Schaufenster». Des œuvres exposées en vitrine, solution pratique et symbolique sur laquelle nous éclaire le directeur artistique du lieu, Christian Mosar.

À l’orée du centre-ville, l’imposant Espace Lavandier est en train d’accomplir sa métamorphose en centre d’art : la reprise des institutions culturelles d’Esch-sur-Alzette, ce week-end, sera marquée par l’avènement de la Konschthal, nouveau centre d’art contemporain qui a investi les locaux de l’ancien magasin d’ameublement. Et pendant les travaux, la vitrine reste ouverte : dès samedi, l’espace d’exposition offrira un avant-goût de sa programmation avec le cycle «Schaufenster» («Vitrine»), sorte de «teasing» visible depuis l’extérieur en attendant que la Konschthal n’ouvre ses portes pour accueillir le public dans ses 3 000 m2 de surface. Une expo, donc, qui se regarde… depuis le trottoir. «On est devant la galerie, confirme Christian Mosar, directeur artistique de la Konschthal Esch. L’espace public joue un grand rôle depuis quelques années, mais le fait d’utiliser exclusivement la vitrine et avoir cette notion de passage est intéressant : cela permet aussi d’être accessible en dehors des heures d’ouverture. La vitrine étant éclairée la nuit, le public aura un accès complètement libre à la vision des œuvres.»

Avec cette exposition qui repense l’espace même où le public l’appréciera, Christian Mosar n’en est pas à son coup d’essai. Il rappelle qu’il y a quelques années, lui-même avait «fait l’expérience» de l’extérieur «avec une exposition que j’avais réalisée à l’ancien Kiosk à Luxembourg». Mais rendre l’art de la galerie visible dans l’espace public s’inscrit aussi dans une démarche «coronacompatible», «qui prend en compte non seulement les futures transformations du bâtiment mais aussi les difficultés d’organisation liées à l’accès public avec la crise sanitaire». « J’ai commencé à travailler (à la Konschthal) le 1er juillet, autrement dit juste après le confinement», indique Christian Mosar. «Je me suis tout de suite mis à la recherche d’œuvres qui pourraient être montrées dans cette situation un peu particulière», à savoir, donc, à travers une vitrine et dans l’espace public.

De l’international au local

L’exemple d’Alfredo Bersuglia, artiste autrichien dont l’œuvre Das Wunder («Le Miracle») est exposée devant la galerie, soulève plusieurs questions en rapport avec les mesures sanitaires. Créée «pendant le confinement», «cette œuvre absurde était garée dans les rues de Vienne pour sa première exposition et représentait cette immobilité liée au confinement», explique le directeur artistique de la galerie. L’une des missions du centre d’art étant d’avoir «une vocation d’espace international», Christian Mosar semble préoccupé, ces jours-ci. «Ces artistes et ces œuvres qui viennent de l’étranger, est-ce qu’à un moment, on les empêchera de passer la frontière ?», demande-t-il. Avant d’affirmer : «C’est dangereux, mais je pense qu’il faut prendre le risque.» Et lorsqu’on lui demande si le Covid continuera d’avoir une empreinte dans l’art, il répond prudemment, en précisant que «l’art contemporain est très attaché à l’actualité immédiate» : «Il y a une vitesse d’assimilation du monde actuel dans l’art contemporain qui fait que dans un an, il y aura peut-être tout à fait autre chose et que l’art qui a évoqué la crise sanitaire sera déjà de l’histoire ancienne.» Alors autant en garder une trace dès aujourd’hui.

Outre Alfredo Barsuglia, la Konschthal «n’oublie pas non plus la création au Luxembourg et la création locale» : le programme «Schaufenster», premier du nom (le second volet du programme sera installé au printemps 2021) invite aussi le tandem d’artistes Martine Feipel et Jean Bechameil, qui résidaient et travaillaient à Esch-sur-Alzette de 2008 à 2019, avec leur création Un monde parfait, pièce architecturale en résine acrylique qui attaque une réflexion sur le fossé qui existe entre idéaux de l’habitation et réalités sociales. Et élargit déjà son champ d’action à l’installation vidéo avec Tulipe, du musicien luxembourgeois Ryvage, en collaboration avec la chorégraphe Jill Crovisier et l’artiste Ted Kayumba, avant de réserver une surprise pour la suite : «Pour la journée de préouverture, nous allons endosser le rôle de pépinière d’artistes car nous allons soutenir et exposer, à l’intérieur cette fois – mais avec des visites réduites – une installation vidéo et sonore de l’artiste Anina Rubin, Ever Glade, qu’elle a réalisé avec le collectif noc.turn.»

Un lieu de référence au Luxembourg

La création «made in Luxembourg» dans tout ce qu’elle a de plus excitant sera décidément mise à l’honneur à la Konschthal. C’est aussi cela, la prise de risque dont parle Christian Mosar. «On va surprendre le public et il faut le prévenir : ce bâtiment va prendre une nouvelle fonction et c’est la programmation qui va donner le signal de ce changement, de cette transformation.»

Le public – ou «les publics», car Christian Mosar tient à rappeler la pluralité de ceux qui s’intéressent à l’art – pourra donc découvrir la Konschthal à l’automne 2021 dans sa version définitive, si l’on peut le dire ainsi, et l’emplacement de la galerie est bien sûr stratégique. Elle ne sera pas seulement le plus gros lieu d’exposition à Esch, mais veut devenir un lieu de référence de l’art au Luxembourg et dans la zone des trois frontières. «Des collaborations avec la Grande Région» sont prévues, indique le directeur artistique. «La frontière (avec la France) est à quelques mètres de notre institution et bientôt, le quartier de la Lentille Rouge s’installera tout près de nous. Ce sont deux choses très intéressantes» pour la Konschthal, ajoute-t-il.

Esch 2022  dans le viseur

La préouverture, samedi, montre mine de rien que pour un lieu encore quasiment vide et qui n’ouvrira pas ses portes avant un an, son programme est déjà bien rempli. Mais l’équipe de la Konschthal s’attelle déjà avec force au futur du lieu. Dans le viseur, bien sûr, Esch 2022. «Cette institution a pour but de jouer un rôle important au sein de la capitale culturelle», garantit celui qui avait quitté, en mai, son poste de directeur artistique de la capitale européenne de la culture, en ajoutant qu’il est malgré tout «déjà en train de plancher sur le programme d’exposition pour Esch 2022».

Ce qui ne l’empêche pas de bouillonner d’idées pour enrichir la proposition artistique et culturelle à Esch dès l’ouverture du lieu. «Nous n’allons pas nous limiter, souligne Christian Mosar. Mon but est aussi de trouver des formes d’expression tout à fait neuves. J’allais parler d’art digital, mais je crois même qu’on peut parler de formes post-digitales, qui font preuve d’une certaine reconnexion avec la matérialité de l’art.» La période de confinement a démultiplié la consommation culturelle sur les écrans, et la Konschthal, dans son bâtiment colossal, favorise la volonté d’inviter à expérimenter l’art visuel sous toutes ses formes sur place. Et ce, dès samedi.

Valentin Maniglia

«Schaufenster 1»
Samedi, à partir de 11 h.
Jusqu’au 15 janvier 2021.
www.konschthal.lu

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