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Killers of the Flower Moon : ruée sanglante vers l’or noir


Martin Scorsese donne ici libre cours à deux de ses acteurs fétiches, Robert De Niro et Leonardo DiCaprio qui se coulent parfaitement dans cet univers vicié. (Photo Imperative Entertainment)

Martin Scorsese explore les sombres coulisses de l’histoire des États-Unis dans Killers of the Flower Moon, qui réunit pour la première fois ses deux acteurs fétiches, DiCaprio et De Niro.

Retrouvez l’avis de notre critique cinéma Valentin Maniglia

[Festival de Cannes] La dernière tentation de Martin Scorsese

Le film marque le retour de la légende du cinéma américain sur grand écran, quatre ans après The Irishman, sorti directement sur Netflix. Violence, règlements de comptes et trahisons : Killers of the Flower Moon transpose l’univers du réalisateur sur les terres d’une tribu amérindienne, les Osages, au début du XXe siècle. Le pétrole découvert en abondance est leur chance, les rendant riches, autant que leur malédiction : il suscite la convoitise des hommes blancs, nombreux à épouser les femmes Osage placées sous tutelle et prêts à tout pour mettre la main sur le pactole.

Dans une ambiance de western, avec arrivée du héros dans la petite ville de Fairfax à bord d’un train, cérémonie du calumet et puits de pétrole, la petite communauté va être victime d’une série de meurtres et de disparitions. Martin Scorsese donne alors libre cours à deux de ses acteurs fétiches, Robert De Niro, 80 ans, (Taxi Driver, Raging Bull, Mean Streets) et Leonardo DiCaprio, 48 ans, (The Wolf of Wall Street, Shutter Island), qui se coulent parfaitement dans cet univers vicié.

Le film révèle aussi une actrice amérindienne Blackfeet, Lily Gladstone, qui prête ses traits à Mollie, une femme Osage dont tombe amoureux Ernest Burkhart, joué par Leonardo DiCaprio. Ce dernier se retrouve embringué dans une conspiration ourdie par l’homme d’affaires William Hale, incarné par un Robert De Niro avide de pétrole. Un agent du FBI, joué par Jesse Plemons (The Power of the Dog), est chargé d’élucider les meurtres.

Le sort des Amérindiens reste une plaie à soigner pour l’Amérique

Le producteur, le géant de la tech Apple, qui s’offre ainsi l’un des plus grands noms du cinéma avant de sortir l’attendu Napoléon de Ridley Scott, en a pour son argent : la réalisation fastueuse est à la hauteur du budget pharaonique (environ 200 millions de dollars). Cette fresque prend son temps pour souligner les dynamiques coloniales et racistes qui ont perduré aux États-Unis au XXe siècle. Ici, les Osages sont minés par les maladies, la dépression et un système législatif qui organise leur discrimination. La production a même pris soin d’embaucher des membres de ce peuple pour de nombreux rôles, et on peut aussi entendre dans le film De Niro et DiCaprio délaisser l’anglais par moments pour parler leur langue.

Martin Scorsese et l’Histoire américaine

La manière dont ont été traités les Amérindiens au cours des siècles après la colonisation de l’Amérique par les Européens «reste une plaie à soigner», a déclaré Martin Scorsese. Son film, l’un des plus politiques, décrit la façon dont des hommes blancs ont spolié les membres d’un peuple amérindien. «Peut-être qu’en connaissant notre histoire et en comprenant où nous sommes, nous pouvons être à la hauteur de ce que notre pays est censé être», a déclaré le cinéaste américain. «Montrons juste l’histoire et voyons ce qu’il se passe!»

Il poursuit : «Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un film d’époque. Les questions sont les mêmes qu’aujourd’hui (…) Le pays est toujours jeune, il souffre toujours de ses blessures de jeunesse. Ce film est une façon de reconnaître cela au moins», déroule le réalisateur. Si l’intrigue se situe dans les années 1920, Martin Scorsese estime que la violence et les crimes mis en scène pourraient se produire aujourd’hui. Même s’il prend soin de préciser qu’il ne s’agit pas d’un «film à message» qui ne parlerait qu’aux convaincus et «s’écarterait de l’humanité» des personnages.

Jouer avec les codes du western

Lui-même confie l’importance qu’a eu le cinéma pour son ouverture au monde : «Je viens d’une époque, l’Amérique des années 1950, où l’on ne pouvait pas dire certaines choses», jusqu’à ce qu’une nouvelle génération de cinéastes arrive «et s’empare de ces sujets dont on ne parlait pas», explique-t-il. «Je suis né dans une famille d’immigrants où il n’y avait pas de livres à la maison. Mes premières informations, je les ai trouvées dans la rue, puis dans les cinémas, et les films m’ont amené à la musique, à la littérature…»

Martin Scorsese confie avoir longtemps rêvé de réaliser un western. «Je les adore ! Ils reflètent qui nous étions à l’époque et qui nous sommes toujours, à certains égards.» Killers of the Flower Moon joue avec ce genre, renversant toutefois les camps du bien et du mal. Son regret ? Le film se déroule pendant la prohibition, dans un État où la consommation d’alcool était interdite : «J’aurais pu faire de grandes scènes dans un saloon, mais ça n’existait pas» à l’époque.

Se voulant inspiré de faits réels, le film s’appuie sur un livre de l’écrivain et journaliste américain David Grann. Il s’agit de narrer «l’histoire d’un des crimes les plus monstrueux et des injustices raciales perpétrés par des colons blancs contre des Amérindiens pour l’argent du pétrole», a expliqué cet auteur lors d’une avant-première à New York. Lorsque «l’appât du gain se mêle à la déshumanisation d’un autre peuple, cela conduit à ces crimes génocidaires», a-t-il fustigé.

À ses côtés ce jour-là sur le tapis rouge, le chef principal de la nation Osage, Geoffrey Standing Bear, a aussi dénoncé le fait que «le peuple Osage mais aussi les peuples « natifs » ont la vie très dure depuis 500 ans». «Et ce film nous montre que cela continue», a ajouté le dirigeant amérindien. Les États-Unis, où le président Joe Biden a décrété depuis 2021 une «Journée nationale des peuples indigènes», comptent 6,8 millions d’Américains «natifs» ou «autochtones», soit 2 % de la population.

Killers of the Flower Moon, de Martin Scorsese. Sortie demain. 

L'histoire vraie derrière le film

Le dernier film de Martin Scorsese s’ancre dans des faits réels, documentés dans le livre de David Grann (La Note américaine en français), paru en 2017. Explications.

Qui sont les Osages ? 

Originaire de la vallée de la rivière Ohio et du fleuve Mississippi, cette tribu amérindienne a été déplacée contre son gré, implantée à la fin du XIXe sur les terres de l’Oklahoma. Propriétaires de leur réserve, ils négocient en 1906 un accord avec l’État fédéral américain octroyant de façon exclusive à la tribu des droits sur toute ressource minérale trouvée dans le sol. Ils ne peuvent être ni cédés ni vendus, juste hérités. Or, on ne tarde pas à découvrir que la réserve repose sur un énorme champ pétrolifère. Les Osages s’enrichissent. En 1923, la tribu perçoit plus de 400 millions de dollars actuels. Ce qui suscite la convoitise des pionniers blancs qui montent des commerces, épousent des membres de la tribu quand ils ne gèrent pas leur fortune, le gouvernement américain ayant déclaré, par un décret raciste, les Osages «incompétents» en la matière.

Qu’est-ce que «le règne de la Terreur» ? 

De 1921 à 1925, une série de meurtres suspects frappent le peuple Osage qui baptise cette période «le règne de la Terreur». La famille de Mollie Kyle Burkhart (au centre du film) est particulièrement touchée : elle perdra deux sœurs, sa mère, son beau-frère et un cousin. En tout, la tribu dénombre au moins 60 victimes pendant cette période mais il en existe potentiellement davantage, certaines morts n’ayant jamais fait l’objet d’une enquête.

Enquête fédérale  

Face aux cadavres qui s’amoncellent, les autorités américaines relancent l’enquête en 1925 confiée à l’ancêtre du FBI. Après des mois d’investigation, ils mettent au jour une machination intrafamiliale. Le mari de Mollie Kyle Burkhart, Ernest, et son oncle, William Hale, ont orchestré les meurtres pour parvenir à hériter de leurs droits d’exploitation du pétrole. Ils seront condamnés à la perpétuité. D’autres assassinats, dont les coupables n’ont pas été traduits en justice faute de preuve, sont quasiment tous imputés à des personnes externes à la tribu qui cherchaient à s’emparer des droits pétroliers, selon David Grann. Il dénonce dans son livre «une série de meurtres à grande échelle».

Et aujourd’hui ? 

Environ un quart des droits d’exploitation du pétrole de la réserve sont détenus par des non-Osages. Mais la nation Osage cherche à faire passer une loi pour pouvoir récupérer ces titres, notamment ceux ayant été mal acquis. Le gisement s’est toutefois en majorité tari et les montants des royalties n’atteignent désormais que quelques milliers de dollars.

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