Le projet Goldman Mania reproduit les chansons et shows de la star française, retirée de la vie publique depuis vingt ans. Avant un passage par la Rockhal, son fondateur et interprète Christophe Celen explique les raisons de l’engouement indéfectible pour son modèle.
En sept albums solo et vingt années de carrière, Jean-Jacques Goldman aura marqué son époque et touché le public comme rarement. D’ailleurs, depuis son retrait de la vie publique en 2002, il reste l’une des personnalités les plus appréciées en France. «Son invisibilité le rend étrangement visible», précisent, dans une formule appropriée, les éditions Seuil sur le livre d’Ivan Jablonka sorti cette année (Goldman). C’est pourtant en Belgique que l’on retrouve l’un de ses fidèles représentants, Christophe Celen, instituteur à Verviers qui troque les leçons et les copies pour le micro et la guitare avec Goldman Mania, projet qu’il porte depuis 2017 avec six autres musiciens. Leur nouvelle et quatrième tournée, «Veiller tard», passera comme la précédente par la Rockhal. L’occasion de lui demander s’il sait, lui, pourquoi son idole plait autant.
Comment un chanteur belge est-il arrivé à s’emparer d’une icône française comme Jean-Jacques Goldman ?
Christophe Celen : Par hasard. C’est vrai, je suis fan à la base, j’ai une voix qui ressemble à la sienne et j’ai beaucoup chanté ses chansons, mais je n’avais aucune intention de faire un spectacle sur son univers! Seulement, quand j’ai commencé à faire mes premières morceaux, on me disait : « Mais ça ressemble trop à du Goldman! » (il rit). C’est vrai qu’il m’a construit… Un jour, le guitariste Michaël Jones est venu jouer près de chez moi, invité par le groupe Sunset Boulevard dans le cadre des Restos du Cœur. J’ai fait un peu le forcing pour aller chanter avec lui. Mais ça ne s’est finalement pas fait.
Et ensuite ?
À l’époque, j’avais envoyé des extraits de ce je faisais au groupe, qui jouait uniquement des reprises de Goldman. Ils ont dû retomber dessus un ou deux ans plus tard puisqu’ils m’ont appelé en vue de remplacer leur chanteur. C’est comme ça que j’ai mis un premier pied dans l’engrenage. Après plusieurs années, j’ai décidé de créer mon propre projet. J’étais convaincu qu’on pouvait aller plus loin dans la restitution.
Qu’est-ce qui vous plait tant chez Goldman ?
D’abord, la qualité de la musique, qui fait qu’on l’a immédiatement dans l’oreille. Ensuite, la profondeur des textes : il n’y a aucune chanson chez lui qui raconte des choses inintéressantes. J’ai découvert son répertoire sur le tard, en 1987, avec le morceau Il changeait la vie (NDLR : de l’album Entre gris clair et gris foncé). J’étais plutôt branché sur les synthétiseurs, mais les paroles m’ont saisi. C’était parti, car une fois qu’on découvre une de ses chansons, on se rue sur les autres!
Que disent-elles de l’homme, selon vous ?
Je dirais plutôt qu’elles parlent des autres, plus que de lui. C’est leur force : beaucoup de gens s’y identifient. Il y aura toujours un texte de Goldman qui vous ramènera à votre propre histoire. Un côté humaniste, peut-être. C’est aussi pour ça que je refuse d’interpréter des morceaux trop personnels. Quand il parle de ses parents, de sa trajectoire, de sa vie, de choses intimes, je me vois mal d’aller chanter ça à sa place devant des gens. Ce serait indécent. Je choisis alors sciemment les titres aux échos plus larges, plus universels.
Il y a aura toujours un texte de Goldman qui vous ramènera à votre propre histoire
Comment expliquez-vous que Goldman, retiré de la scène médiatique depuis plus de vingt ans, plaise toujours autant?
C’est qu’il est parti du jour au lendemain, alors que rien ne le laissait entendre. Son dernier album en 2001 était plutôt bon, sa voix était nickel… Non, je pense justement que c’est son soudain départ qui a entretenu la flamme, une forme de curiosité. Et il avait beaucoup de fans qui le suivaient. Le fait qu’il ait arrêté comme ça, ça a créé un manque.
Est-ce ce que vous observez avec Goldman Mania ?
Il y a plusieurs sortes de public : d’abord les gens qui n’ont jamais eu l’occasion d’aller le voir sur scène, alors qu’ils ont grandi avec sa musique. Ensuite ceux qui veulent redécouvrir ses chansons en live. Enfin les plus difficiles, qui viennent à reculons, convaincus que ça ne va pas leur plaire vu qu’il s’agit de reprises. Mais ils repartent quand même comblés! Il y a enfin les fans de la première heure. Si eux sont satisfaits et vous le font savoir, c’est la reconnaissance ultime!
Comblez-vous un vide, en quelque sorte ?
Je pense en tout cas que ça n’aurait aucun intérêt à porter ce spectacle si Goldman était encore là, s’il faisait toujours des albums, des concerts. On existe seulement en raison de son absence.
Le public belge est-il différent de celui français dans ses réactions ?
La différence est flagrante : en Belgique, il y a un côté festif. Au bout de trois chansons, tout le monde est debout, chante et danse! En France, comme ce fut le cas récemment à Lille, on a tendance à plus écouter, même si à la fin, tout le monde est à fond. C’est qu’on ne touche pas aussi facilement au répertoire de Goldman. Il y a un petit côté institutionnel derrière ça : on juge au début, et après, si ça va, on est réceptif et on en profite.
Et au Luxembourg ?
On y revient pour la seconde fois en un an. Seulement, c’est une tournée différente que la précédente, avec d’autres morceaux, une autre mise en scène. C’est un jeu d’équilibriste car il s’agit de convaincre les gens qui viennent pour la première fois, et satisfaire ceux qui reviennent pour la quatrième fois. Faire une set list, ça devient un vrai casse-tête!
Vous avez donc un public qui vous suit partout ?
Oui, vraiment. On a un groupe de fidèles! C’est même perturbant car je suis sûr, à chaque concert, de retrouver aux premiers rangs les mêmes visages (il rit).
Le réflexion typique de tout musicien, c’est : « oh, ça va, c’est du Goldman, c’est facile! »
Votre voix est assez bluffante dans sa ressemblance avec celle de Goldman. Nécessite-t-elle beaucoup de travail?
Justement non. Je ne force jamais! À mes débuts, quand je jouais dans des bals, peut-être qu’il y a eu une forme de mimétisme inconscient car je chantais du Goldman, mais aussi du Michel Berger. Mais non, je n’ai jamais cherché à avoir la même tessiture, le même grain. C’est arrivé comme ça, naturellement.
Musicalement, qu’est-ce qu’exige le répertoire de Goldman ?
Déjà au niveau vocal, il y a pas mal de passages qui vont assez haut, ce qui implique d’agencer intelligemment les titres pour ne pas s’épuiser, trop monter en puissance. C’est pour cela que sur scène, Goldman faisait des transitions purement instrumentales. Il reposait sa voix, s’économisait. Ensuite, à l’écoute, c’est une musique qui paraît simple, mais pour la jouer, c’est autre chose…
C’est-à-dire ?
Le réflexion typique de tout musicien, c’est : « Oh, ça va, c’est du Goldman, c’est facile ». Mais à la guitare, il y a tous ces petits riffs, d’apparence anodine, mais compliqués à placer. Même le batteur est servi : le nôtre, qui est excellent, fait une tonne de trucs et il en sort épuisé. C’est physique, cérébral, subtil… On se rend vite compte que le répertoire est costaud. Et plein de surprises cachées!«
Vous n’êtes pas les seuls sur le «créneau» Goldman. Quel est votre petit plus ?
J’ai été voir Goldman en concert plus d’une quinzaine de fois. J’essaie alors de restituer ce qu’il faisait, à tous les niveaux. Il y a de la vidéo, cette envie aussi de reproduire tous les instruments en live : le violon, la mandoline, le banjo, la flûte… Enfin, on pousse l’idée jusqu’à l’ambiance de la salle, et les interactions qu’il avait avec le public. J’ai vu des covers où ça harangue les spectateurs, alors que Goldman est quelqu’un sur la réserve. Ce n’est pas que la musique qui compte, mais le spectacle entier. Et tout cela se fait bien sûr à notre échelle, et avec nos moyens!
Cette forme de mimétisme, n’est-ce pas trop étouffant à la longue?
Non, car ce n’en est pas une! On remet les mêmes ingrédients mais il y a une part d’interprétation, et c’est ça que les gens aiment bien. Même les fans de Goldman nous le disent. Ils reconnaissent que ce n’est pas une copie conforme, mais ils s’y retrouvent quand même!
Que se passerait-il pour Goldman Mania si Jean-Jacques Goldman décidait subitement de revenir en lumière ?
(Il rigole) Dans la mesure où il serait de nouveau là, évidemment, on arrêtait le projet. Par contre, je serai super heureux et je courrai le voir!
«Goldman Mania» Vendredi à 20 h. Rockhal – Esch-Belval.