À Predappio, où est né et enterré Benito Mussolini, le maire souhaite faire un «musée» sur le fascisme dans un ancien bâtiment du régime, où il doit pour l’instant se contenter de slalomer entre les fientes de pigeons.
Les divisions autour du projet, que l’édile de cette commune d’Emilie-Romagne de 6.500 habitants porte depuis sept ans, révèlent que le sujet reste encore sensible en Italie, où les nostalgiques commémoreront jeudi les 71 ans de la mort du Duce. Composé d’un bourg médiéval et d’une ville moderne, Predappio abrite deux sites touristiques: la maison natale de Mussolini, où son père tenait un atelier de forgeron, et la crypte où sa famille est enterrée.
Au centre de la commune, un bâtiment de 2 400 m2 sur trois étages, à l’abandon depuis une vingtaine d’années, surplombé par une tour de 40 mètres: l’ancien siège du parti, dans lequel, une fois trouvés les six millions d’euros nécessaires à la rénovation et à l’aménagement, la municipalité veut installer d’ici 2019 un «centre d’étude et de documentation sur le fascisme». La culture et la recherche historique semblent en effet «l’unique solution» pour ne pas laisser Predappio s’enfermer dans une image de lieu symbole du fascisme, confie le maire (centre-gauche), Giorgio Frassinetti, la cinquantaine replète.
Alors que quatre «crânes rasés» en treillis militaires rodent devant le bâtiment, l’édile insiste: Predappio ne doit plus être connu que pour «toutes ces manifestations étranges» célébrant le Duce trois fois l’an, ainsi que pour ses boutiques de souvenirs au goût douteux. «Les polémiques sont naturelles, ainsi que les prises de position les plus diverses, mais je crois fermement que l’unique possibilité d’aller de l’avant est d’affronter ce thème sans préjugés», explique-t-il.
Parce que «le vrai ennemi à combattre, c’est l’ignorance, la banalisation de l’histoire», assène l’élu, en citant l’exemple du centre de documentation sur le nazisme ouvert l’année dernière à Munich. «Je pense que l’Italie doit également solder ses comptes». Le professeur d’histoire contemporaine Marcello Flores acquiesce. «La vision strictement idéologique du fascisme est terminée: il est fini le temps où on lui opposait un jugement moral, où on le condamnait sans chercher à comprendre», assure-t-il.
Certes, «le sujet est tabou» et les historiens ont «peur» de l’affronter, redoutant d’en arriver à «célébrer cette période de l’histoire, à en sortir le positif», reconnaît-il. Mais, signe d’un changement des mentalités, le gouvernement de Matteo Renzi a d’ores et déjà exprimé son «intérêt» pour le projet et devrait verser une partie des fonds.
« Négationnisme inacceptable »
Dans le petit cimetière où repose la famille Mussolini, tout semble tranquille. Mais dans la crypte ornée d’un célèbre buste du Duce, le livre d’or atteste des foules qui s’y pressent: 50.000 personnes par an, qui réclament toutes la même chose: «Reviens!». Pour Orlando Bonotto, 65 ans, rencontré devant la maison natale de Mussolini en compagnie d’autres nostalgiques venus de Trévise (nord-est), «la seule erreur qu’ait faite ce +signore+ est de s’allier avec Hitler».
Sans jamais prononcer le nom de Mussolini, à l’instar des sympathisants du fascisme en Italie, il arbore fièrement sa chemise noire des milices du Duce, héritée de son père. A ses yeux, il «est temps que ce musée s’ouvre car c’est l’histoire: admettons tous nos erreurs et repartons la tête haute». Président de l’Association nationale des partisans italiens (ANPI) de Forli-Cesena, Carlo Sarpieri hésite un peu avant de se dire lui aussi favorable à l’ouverture du centre d’études de Predappio, mais à certaines conditions.
Il est nécessaire que «le résultat de cette opération (…) aboutisse à une lecture partagée de cette période, qu’on en finisse avec (…) ce négationnisme inacceptable», insiste-t-il. Ce centre d’études «ne deviendra jamais» un musée à la gloire du fascisme, souligne-t-il pour rassurer «ses» partisans, héritiers de la Résistance. M. Frassinetti, convaincu mais las, soupire: «Je suis confiant mais si je devais me rendre compte que je fais du tort à la nation, j’arrêterai tout».
Le Quotidien/AFP