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Isekai, parfum d’évasion dans l’animation japonaise


Mushoku Tensei, l’un des isekai les plus populaires, raconte l’histoire d’un chômeur qui, après un accident, est réincarné en bébé doté de pouvoirs magiques.

Le genre isekai, qui met en scène des personnages insatisfaits de leur vie réincarnés en héros ou projetés dans des mondes parallèles, est l’un des plus appréciés dans l’animation japonaise par un public en recherche d’évasion.

Être renversé par un camion et précipité dans un monde parallèle n’est probablement pas le rêve de qui que ce soit, mais cette idée est au centre d’un très populaire style de dessin animé au Japon, idéal pour fuir son quotidien. Le genre isekai («un autre monde», en japonais) désigne de manière large toutes les œuvres dans lesquelles le personnage principal se retrouve transporté dans un monde alternatif.

Mais un sous-genre en particulier rencontre actuellement un grand succès au Japon comme à l’étranger : celui mettant généralement en scène un personnage en difficulté, parfois présenté comme un «raté», réincarné après une mort violente en héros doté de pouvoirs.

Asa Suehira, directeur des contenus de la plateforme de streaming d’animes Crunchyroll, dit constater un «fort appétit» pour ce genre incluant des titres comme Moi, quand je me réincarne en Slime ou Cheat Skill Level Up. En 2021, la moitié des dix animes japonais les plus regardés sur la plateforme chinoise Bilibili étaient des isekais.

Loin des héros d’anime traditionnels évoluant dans des mondes hostiles, l’isekai met en scène des gens se sentant mésestimés et insatisfaits de leur vie. «L’état d’esprit qui prévaut dans l’isekai est qu’il vaut mieux être transporté dans un monde où l’on peut exceller», pense Satoshi Arima, de la maison d’édition Kadokawa. Ce géant nippon de l’édition publie de nombreuses œuvres isekai sous forme de «light novel», des romans japonais destinés à un public de jeunes adultes, dont beaucoup ont été adaptés en mangas et animes.

«Fonction thérapeutique»

La popularité du courant actuel d’isekai a commencé à s’envoler vers 2012, aidée par l’essor de plateformes comme Netflix ou Crunchyroll. Ces publications plaisent particulièrement à un public de «salarymen» (employés de bureau japonais) entre 30 et 50 ans, estime Satoshi Arima. Ils rêvent peut-être «d’un emploi où leur valeur serait mieux reconnue» et, «comme ce n’est pas toujours possible, il se peut qu’ils assouvissent ce désir par procuration à travers ces romans», ajoute-t-il. Cette forme d’évasion touche aussi un public de plus en plus féminin se reconnaissant dans des héroïnes sous-estimées «qui vivent leur vie comme elles l’entendent», pense l’éditeur.

Parmi les séries les plus populaires, Mushoku Tensei («réincarnation sans emploi») raconte l’histoire d’un homme vierge de 34 ans, au chômage, qui, après avoir été renversé par un camion, est réincarné en bébé doté de pouvoirs magiques. Cette année, au salon AnimeJapan de Tokyo, de nombreux fans de cette série – principalement des hommes – se pressaient autour du stand où étaient présentés cet anime et d’autres œuvres similaires.

«Le Japon n’est plus au mieux de sa forme, alors ce genre d’histoires me fait penser que les gens cherchent peut-être à évacuer leur stress et à s’évader», confie un fan de Mushoku Tensei, Shinya Yamada. Cela «a une fonction thérapeutique, mais c’est un peu triste», glisse cet homme de 50 ans.

Marché «surpeuplé»

La popularité du genre dans le monde entier ne cesse de croître, et une recherche sur un site de mangas donne ainsi plus de 4 000 résultats contenant «isekai» dans le titre. Ce type d’œuvres s’est développé au point de «surpeupler» le marché, note Asa Suehira, mais celui-ci se renouvelle grâce aux nombreux sous-genres qu’il a engendrés. Tous les récits d’isekai ne commencent pas par une mort violente, et si certains héros doivent triompher de violents combats pour s’en sortir ou sont transformés en monstrueuses araignées, d’autres vivent une vie relativement calme.

Cette diversité permet à l’isekai de séduire aussi bien ceux qui rêvent d’un mode de vie plus tranquille que ceux qui rêvent d’un peu plus d’exaltation, selon Asa Suehira. L’isekai est un genre qui offre un nouveau départ, «sans les regrets et les erreurs que chacun commet dans sa vie», dit-il.

L’anime en perte de vitesse, selon l’un de ses «shoguns»

La puissante industrie de l’animation japonaise risque d’être «dépassée» par la concurrence chinoise, car sa créativité est de plus en plus étouffée, prévient Masao Maruyama, un vétéran estimé du secteur. «Les restrictions de la liberté d’expression» en Chine sont «l’unique raison» pour laquelle le géant asiatique «n’a pas encore rattrapé le Japon» dans l’animation, estime-t-il.

L’animation nippone cherche trop à exploiter le filon commercial de ses personnages féminins «kawaii» (mignons) et néglige d’encourager de nouveaux talents avec un regard différent, alors que la Chine, elle, couve ses jeunes créateurs, pense-t-il. Ce risque d’homogénéisation de l’animation japonaise affaiblit aussi sa créativité par rapport au géant américain Disney ou à l’animation française, selon lui.

N’étant ni réalisateur ni dessinateur, Masao Maruyama est inconnu du grand public et, à 81 ans, il reconnaît volontiers que sa carrière touche bientôt à sa fin. Mais la diversité des rôles qu’il a joués en coulisses depuis près de 60 ans lui a valu une réputation de «shogun de l’ombre» dans l’animation nippone, comme ces généraux qui tiraient les ficelles du pouvoir au temps du Japon féodal. Il est entré dans le monde de l’animation dans les années 1960 sous l’aile du «dieu du manga» Osamu Tezuka, dont il se considère «l’héritier le plus authentique de (son) ADN».

Masao Maruyama est à l’origine du projet Pluto, adapté d’un manga signé Naoki Urasawa et dérivé d’Astro Boy, la plus célèbre création de Tezuka. Il est directeur exécutif de cette série à venir sur Netflix, imprégnée de thèmes tels que la guerre et les discriminations, en résonance avec les turbulences du monde contemporain. «Créer des œuvres, c’est se mettre au défi de faire quelque chose de neuf, indépendamment de ce que l’on a dit dans le passé. Cela vous rend égoïste d’une certaine manière, et c’est un trait de caractère (NDLR : de Tezuka) dont j’ai hérité à l’état pur», affirme-t-il.

Sa stratégie a toujours consisté à exercer son influence pour promouvoir des réalisateurs qui méritaient selon lui d’être reconnus, explique Masahiro Haraguchi, un spécialiste de l’histoire de l’animation japonaise, qui rappelle que beaucoup des plus grands noms de l’animation japonaise ont d’abord travaillé sous sa tutelle : Mamoru Hosoda, Satoshi Kon, Sunao Katabuchi… «La magie» de Masao Maruyama a consisté à faire grandir ces réalisateurs sans pour autant les dénaturer, résume-t-il, même si le principal intéressé estime ne pas avoir «de talent particulier».

Chaque studio d’animation qu’il a créé et supervisé – Madhouse, MAPPA et M2 – porte sa marque. Leur première lettre commune n’est pas qu’une allusion à son nom, mais aussi à son «masochisme» dans le travail, confie Masao Maruyama dans un large sourire. «Plus un projet est difficile, douloureux, accablant, plus ça me motive!»

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