Mis à l’arrêt il y a plus de dix ans, le groupe dEFDUMp, qui a marqué la scène nationale entre 1994 et 2008, s’est muté, a pris de le nom de Thisisforevermore et s’est tourné vers le jazz. Après un concert-surprise au printemps dernier, le nouveau collectif remet ça samedi à la Kufa d’Esch. Confidences du chanteur Pascal Useldinger.
Septembre 2008. Groupe phare au Luxembourg, dEFDUMp arrête après 15 années d’activités. Vous souvenez-vous du contexte ?
Pascal Useldinger : Ce groupe, ce sont 16 années de ma vie. De l’adolescence, il m’a accompagné, comme mes camarades, jusqu’à l’âge adulte. Entre 16 et 32 ans, on évolue comme personne, du moins, c’est préférable! Après, avec le temps, dEFDUMp était devenu quelque chose de plus important que la somme des quatre personnes qui la composait. C’était une entité propre qui en demandait toujours plus. C’était trop! Elle nous voulait juste pour elle. Et comme chacun n’avait plus autant de temps qu’avant, ni autant d’énergie à consacrer pour rester à niveau, on n’arrivait plus à alimenter la machine. On a alors implosé.
Durant les dix années suivantes, est-ce que l’idée d’une reformation vous a trotté dans la tête? C’est un réflexe chez les musiciens, non ?
Même quand on se voyait, qu’on parlait du passé, que quelqu’un avançait l’idée d’un retour, ma réponse a toujours était la même : non. Simplement parce que ce ne serait pas honnête, vis-à-vis du public, et surtout vis-à-vis de nous-mêmes. On n’aurait pas pu reprendre la cadence, soit dix heures de répétitions par semaine. Logistiquement, c’était impossible. Techniquement, aussi, surtout pour Marc (Pierrard) et moi qui avions pris d’autres chemins. Et dEFDUMp n’allait pas nous assurer une belle rentrée d’argent en cas de réunion! (il rit). Bref, on était bien où l’on était, et il n’y avait aucune nécessité de raviver la flamme.
Façonnés pour le reste de nos vies d’un point de vue éthique et moral
Jusqu’à la toute dernière édition du Food for Your Senses, en mai dernier…
Mais on a dit non, pour les raisons citées, avant de réfléchir à d’autres pistes, comme un « featuring » par exemple. Mais il y avait cette histoire d’Appolleon et June, abordée sur trois de nos créations dont l’album This Is Forevermore (2007), qui, à mes yeux, était toujours d’actualité. Je pouvais toujours m’identifier avec ce que l’on avait fait, ce qui était d’ailleurs primordial. Dans le groupe, tous étaient du même avis! Logique, car dEFDUMp nous a marqués pour toujours et nous a changés. Ça nous a façonnés pour le reste de nos vies d’un point de vue éthique et moral. Mais on ne voulait pas non plus faire dans le réchauffé non plus.
D’où cette reconstruction…
Oui. On s’est dit qu’on pouvait dépoussiérer la chose, que derrière ce truc un peu bourrin, toutes ces distorsions, ces rythmes frénétiques, ces cris, il y avait une vraie musicalité et des paroles recherchées. On pouvait alors imaginer reconstruire l’ensemble, avec d’autres musiciens, de différents horizons.
Vers qui vous êtes-vous tourné ?
Pol Belardi ! J’avais bossé auparavant avec lui et certaines de ses musiques me plaisaient. J’avais besoin de quelqu’un auprès duquel je me sentais proche, pour que l’émotion soit palpable. Je ne voulais pas quelque chose de froid, sans âme, monté de toutes pièces. Je lui ai parlé de l’idée. Il m’a dit : « Allez, on fonce! ». Il a embarqué avec lui ses deux partenaires, Niels Engel et Jérôme Klein.
Groupe culte ? Ce n’est pas à moi d’en décider
Faire revivre dEFDUMp, même sous un nouveau nom et line-up, est-ce accepter, en fin de compte, son statut de groupe « culte » ?
(Il sourit) Ce n’est pas à moi d’en décider, mais il est vrai que partout où je vais, il est rare que l’on ne me parle pas de dEFDUMp. Des gens qui vous interpellent et disent : « Ce groupe était important pour moi! ». Ça a changé des vies, sans rigoler! La seule réponse appropriée est de dire qu’on a fait ça avec le cœur, les tripes, sans aucun calcul ni hypocrisie. On y croyait! L’auditeur, ou le fan, ne s’est jamais fait léser.
Ça semble important, pour vous, cette transparence ?
Oui, et c’est beau, en tant qu’artiste, d’être compris. De ne pas être le mec dans sa bulle, loin de tous, à faire ses trucs tout seul… Que certaines personnes donnent de l’importance à dEFDUMp, ça me fait plaisir. Après, je ne peux rien m’acheter avec! Et les mythes sont là pour être détruits.
Et sur scène, au FFYS, qu’avez-vous alors ressenti ?
Un concert, c’est de l’émotion pure, et une réaction. Chez dEFDUMp, on voit les choses ainsi. Et si on ne ressent rien, qu’il n’y a pas cette authenticité, autant ne rien faire! Là, remonter sur scène, ça a été une révélation après autant d’années à rester en retrait. Ça a été un tourbillon de sensations, une épiphanie même.
J’y injecte trop d’énergie
Dans quel sens ? Vous vous êtes dit : « Je suis fait pour ça » ?
Oui, je pense. C’est un truc qui me transporte, et, c’est paradoxal, me détruit en même temps, car j’y injecte trop d’énergie. Dans mon art, je n’ai jamais réussi à mettre de la distance. Et à trop se donner, sans retenue, on y perd des plumes.
Est-ce pour ça que vous remettez le couvert samedi, alors qu’initialement, le concert du mois de mai au FFYS devait être le seul ?
Non, je savais que le projet était éphémère, même si, dans nos têtes, on voulait aussi jouer à la Kulturfabrik, notre ancien fief. Simplement parce que le dernier concert de dEFDUMp ne s’est pas fait là-bas.
Vous parlez de projet « éphémère ». Est-ce frustrant ?
Au contraire! Il ne s’agit pas ici de recréer le passé, mais plutôt de l’amener à vivre sous une autre forme aujourd’hui. Alors de quoi sera fait demain? Qu’importe !
Qu’avez-vous appris en vous acoquinant avec des jazzmen ?
C’est une autre façon de penser. En pop-rock, les choses sont plus rigides. On essaye souvent de récréer ce que l’on a déjà fait. Certes, en live, ça évolue, en fonction de la salle, du public, du l’énergie du moment. En jazz, on est dans une forme de vulnérabilité, de liberté aussi, avec une structure fixe qui s’accommode de vides, d’improvisations. Ça vit à l’instant, ça prend consistance devant vous. C’est beau, non? D’ailleurs, quand on a évoqué les premières répétitions, on était à fond. On voulait en faire 50, mais Pol et les autres ont haussé les épaules, comptant en faire 10, maximum…
À vous entendre, vous êtes un jazzman contrarié ?
(Il rigole) Qui sait ?
Une richesse derrière les compositions
Thisisforevermore, c’est aussi un mix de générations et d’approches différentes. Comment s’est déroulée la greffe ?
Oui, ce projet, c’est même deux écoles qui se confrontent. D’un côté, les autodidactes et de l’autre, des gens formés au Conservatoire. Pour que ça marche, que l’alchimie prenne, c’est une question de respect mutuel et d’ouverture. Peut-être qu’ils pensaient qu’ils allaient faire du punk, genre « un, deux, trois, quatre », mais vite, ils se sont rendu compte qu’il y avait une richesse derrière les compositions et certains phrasés que l’on retrouve dans le jazz. Et puis, arrêtons d’opposer les styles, les jeux, les influences : la musique est un langage universel, même si parfois, la traduction est difficile. Je me souviens de moments, en répétition, où eux nous disaient (il prend un ton hautain) : « C’est du trois-temps, mais là, vous faites du 7/4… ». Le gros délire, quoi !
Pour conclure, qu’est-ce qui vous ferait changer d’avis et faire de Thisisforevermore un projet, disons, définitif ?
Aucune idée. Rien n’est prévu. Une belle proposition à l’étranger, peut-être, et encore! Je pense qu’il faut savoir profiter de l’instant présent. Vivre le moment à 100 %, c’est ce qui importe le plus.
Entretien avec Grégory Cimatti