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Il y a 75 ans, le maréchal Pétain devant ses juges


Le procès de l'ancien héros de Verdun fût retentissant (Archives : AFP)

Le 23 juillet 1945, au Palais de justice de Paris, s’ouvre, devant la Haute Cour, le procès de Philippe Pétain, chef de l’Etat français pendant l’Occupation allemande, accusé de complot contre la sûreté de l’Etat et d’intelligence avec l’ennemi.

Trois mois auparavant, le Maréchal Pétain, devenu l’inculpé Philippe Pétain, a été pris en charge à la frontière suisse par le général Koenig pour être conduit au fort de Montrouge. Transféré par le gouvernement allemand, le 20 août 1944, à Sigmaringen, puis en Suisse, au printemps 1945, lors des derniers soubresauts du IIIe Reich, il a refusé l’asile politique de ce pays et accepté d’affronter un procès public en France.

L’instruction a été menée tambour battant. Le GPRF (gouvernement provisoire de la République française), issu de la Résistance, s’est installé à Paris le 31 août 1944 sous la houlette du général de Gaulle et a publié une ordonnance rétablissant une Haute Cour pour juger celui qui s’était autoproclamé chef de l’Etat français, le 11 juillet 1940.

Pétain, 89 ans, a établi sa défense avec ses trois avocats : lui, « le héros de Verdun », qui a servi la France sa vie durant, on l’a supplié d’accepter le pouvoir à l’été 1940. Un pouvoir qui lui a été « légitimement confié » par le Parlement et dont il s’est servi pour « protéger le peuple français » en ne cédant sur rien d’essentiel.

« Un poignard sur la gorge »

L’acte d’accusation est nourri. Pétain est poursuivi pour crime contre la sûreté intérieure et intelligence avec l’ennemi. Pour le procureur général, la prise du pouvoir par Pétain est « l’aboutissement d’un complot fomenté depuis longtemps contre la République », notamment par la Cagoule, ce groupe d’extrême droite qui, à partir de 1935, mena des actions de déstabilisation de la République.

L’accusation reproche aussi à Pétain sa politique de collaboration qui a « contribué au fonctionnement de la machine de guerre allemande », notamment à partir de la mise en place du STO (Service du travail obligatoire) qui fera de la France le troisième pourvoyeur de main d’oeuvre pour le régime nazi après l’URSS et la Pologne. Sans parler des lois raciales et de la participation active de la police de Vichy dans la déportation des Juifs.

Ouvert le 23 juillet 1945, le procès va durer trois semaines. Le premier jour à 13h10, Pétain fait son entrée dans la salle d’audience. Il est en uniforme de maréchal de France, et ne porte comme décoration que la médaille militaire.

« D’une voix forte et qui trembre à peine », selon le journaliste de l’AFP présent dans la salle, il prend la parole pour s’adresser au seul peuple français, celui-là même qui, dit-il, « par ses représentants, réunis en Assemblée Nationale le 10 juillet 1940, m’a confié le pouvoir ». « Je ne ferai pas d’autre déclaration. Je ne répondrai à aucune question ».

« Lorsque j’ai demandé l’armistice, d’accord avec nos chefs militaires, j’ai accompli un acte nécessaire et sauveur », martèle-t-il. « Je suis demeuré à la tête d’un pays sous l’Occupation. Voudra-t-on comprendre la difficulté de gouverner dans de telles conditions ? Chaque jour, un poignard sur la gorge. J’ai lutté contre les exigences de l’ennemi. L’histoire dira tout ce que je vous ai évité ».

Blum et Laval à la barre

Vont d’abord défiler à la barre les principaux hommes politiques et militaires de la IIIe République: de l’ancien président du Conseil Paul Reynaud, qui appela le 18 mai 40 Pétain dans son gouvernement, à l’ancien président du Conseil Léon Blum, revenu depuis peu de déportation, en passant par Edouard Daladier, Edouard Herriot et le général Weygand.

Quand il prend la parole, le 27 juillet, Léon Blum a des mots très forts: « Le peuple était là, atterré, immobile, se laissant tomber à terre dans sa stupeur et dans son désespoir et on a dit à ce peuple: cet armistice qui te dégrade, qui te livre n’est pas contraire à l’honneur. Et ce peuple l’a cru, parce que l’homme qui lui tenait ce langage parlait au nom de son passé de vainqueur. Et cet abus de confiance morale, eh bien, cela oui, je crois que c’est la trahison », déclare-t-il.

L’apparition à la barre, le 3 août, de Pierre Laval, l’homme fort de Vichy et de la collaboration d’Etat avec l’Allemagne nazie, portera un coup à l’argumentation de la défense de Pétain. « On allait trouver le Maréchal: il était toujours d’accord », dira-t-il.

A propos de la rencontre à Montoire entre Pétain et Hitler, le 24 octobre 1940, où fut décidée le principe de la collaboration, Laval raconte encore : « je ne l’ai pas emmené de force. Il n’a pas exprimé de répugnance ».

Le 15 août 1945, à 04H01 et après sept heures de délibérations, la Cour condamne Pétain à la peine de mort, à l’indignité nationale, à la confiscation de ses biens. En raison de son grand âge, sa peine est commuée en emprisonnement à perpétuité.

Il n’est pas prouvé que l’accusé ait comploté contre le régime avant 40. Mais il a profité de son pouvoir pour l’abattre, estime la Cour.

Le 23 juillet 1951, Philippe Pétain meurt à Port-Joinville, sur l’île d’Yeu (Vendée) où il est inhumé.

AFP