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Hemingway : un secret devenu roman


Dans Papa, Gregory Hemingway confie qu'il aurait aimé être le héros d'un roman de son père. Il l'a donc rêvé, espéré... Brigitte Kernel, elle, l'a fait ! (Photo : DR)

D’entrée, le lecteur est prévenu : «Ceci est une histoire vraie, mais aussi un roman, et tout roman est un mensonge.» Il en est ainsi avec Brigitte Kernel. Après Agatha Christie et la suite d’un chapitre inachevé, après un épisode d’un séjour américain de Françoise Sagan chez Tennessee Williams, elle revient avec un quinzième livre dont déjà le seul titre est empli de promesses : Le Secret Hemingway. Et l’auteure de prendre soin de préciser qu’il s’agit là de «mille secrets plutôt qu’un».

Certes, on pourra reprocher à Brigitte Kernel qui, dans une vie précédente, fut une des belles voix de France Inter, d’user pour la troisième fois d’une même technique : prendre un personnage connu, saisir un moment vrai de sa vie et en faire un roman. Mais le reproche sera d’une extrême courte durée, tant la romancière maîtrise à la perfection l’art d’embarquer le lecteur dans un tourbillon délicieusement romanesque.

Le nom du secret

Alors, quel est donc ce «secret Hemingway» ? Ce secret qui a bouleversé, pourri l’existence du grand Ernest Hemingway, l’archétype de l’écrivain américain du XXe siècle, l’auteur de Pour qui sonne le glas ou Le Vieil Homme et la mer, qui a mis fin à ses jours en 1961 ? Ce secret a un nom, Gregory H. Hemingway, qui écrira dans Papa : «Ce que j’aurais vraiment souhaité être, c’était un héros hemingwayen. Mais un héros de Hemingway, que diable est-ce donc ?»

Oui, qu’est-ce que le héros chez Hemingway, macho, alcoolique et dépressif, chasseur, bon vivant, tombeur des femmes qui passaient à ses côtés, amateur de corridas, pêcheur au grand large… ? Qu’est-ce qu’un héros quand, soi-même, on se vit en héros ?

Avec les mots de Brigitte Kernel, Le Secret Hemingway propose des révélations posthumes sur ce fils pas comme les autres. Ce fils qui, imagine l’auteure, écrit : «Ils ont dit que j’avais tué ma mère. Puis ils ont dit que j’avais tué mon père. Enfin, ils ont dit que chez nous, les Hemingway, de génération en génération, tout le monde se tuait. L’un a alors lancé un bruit : « Même le chien y est passé. Ça a fait une sacrée histoire, car le fils cadet d’Ernest, Gregory, accusait le shérif d’avoir exécuté White Dog ».».

Ce plus jeune fils de la famille, qui se heurta à de nombreuses reprises à son père parce que, enfant, il appréciait s’habiller en fille, et qui, à l’âge adulte pour échapper à ce malaise qui le tenaillait au plus profond de lui-même, se réfugia dans les drogues et l’alcool, se maria quatre fois, eut huit enfants qu’il éleva avec les pires difficultés.

«Naître dans le mauvais corps»

Le roman débute à Miami en 2001. Prison pour femmes. Gloria attend que sa famille paie la caution pour sortir. La famille ne viendra pas, ne paiera pas et ses parents sont morts. La prisonnière apprend aussi qu’elle n’a que quelques semaines à vivre. C’est le temps des souvenirs. De raconter une vie. Sa vie. Celle du fils adoré d’un monstre sacré de la littérature, d’un garçon devenu fille. Celle qui, à 64 ans, se fait opérer et change de sexe.

Brigitte Kernel confie : «Gigi se fera opérer bien après la mort de ses parents, à 64 ans. En composant toute son existence entre sa vie d’homme, de médecin, et ses écarts, du travestissement au dérèglement alcoolique…» Au fil des pages de ce roman vrai brille une belle personne née Gregory, devenue Gloria, surnommée «Gigi» : une personne d’une grande culture, d’une bonté illimitée et qui entretenait un rapport aimant et respectueux avec son père.

En romancière toute en élégance, ne portant jamais le moindre jugement, Brigitte Kernel précise : «Naître dans le mauvais corps, c’est très difficile, vraiment. Je me suis aperçue aussi qu’on confond la question du transgenre avec l’homosexualité. C’est une question qui ne se pose en fait pas du tout. L’amour va dans un sens ou dans l’autre. Gregory/Gloria Hemingway aimait les femmes, il en a épousé trois, dont une à deux reprises, et elle a eu huit enfants du temps où elle était Gregory.» Et ainsi, avec Le Secret Hemingway, Brigitte Kernel a écrit un roman profond et généreux.

Serge Bressan

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