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Harcèlement: un « déni » subsiste sur « l’ampleur » des violences sexistes


(Photo : AFP)

Un « déni » subsiste sur « l’ampleur et la réalité » des violences sexistes, estime la sociologue Alice Debauche, maîtresse de conférence à l’université de Strasbourg et chercheuse associée à l’Ined.

Les témoignages de harcèlement sur Twitter, les débats se multiplient en réaction à l’affaire Weinstein. Les violences sexistes ou sexuelles ont-elles déjà eu un tel retentissement en France?

Alice Debauche : Il faudrait avoir un peu plus de recul, mais en termes d’ampleur des témoignages, notamment d’anonymes, on est sur quelque chose d’assez massif comparé à ce qui avait pu se produire avant. C’est lié en partie à cette forme particulière qu’ont les réseaux sociaux actuels, en particulier Twitter qui donne un caractère extrêmement visible. Lors des affaires précédentes, il y avait eu des sites, des tumblr qui s’étaient mis en place +Je connais un violeur+, +j’ai été victime+, mais c’était des choses plus réduites.

Par ailleurs, dans les affaires précédentes, les femmes qui avaient dénoncé les faits, que ce soit la femme de chambre Nafissatou Diallo et la journaliste Tristane Banon dans le cas de Dominique Strauss-Kahn, ou les femmes politiques qui avaient parlé dans l’affaire Denis Baupin, n’avaient pas le caractère de proximité avec les femmes que peuvent avoir les actrices. Il y a une dimension d’identification qui peut se faire par rapport à ces actrices qu’on a l’impression de connaître intimement par le biais des magazines, des réseaux sociaux, plus facilement que lorsqu’il s’agit d’anonymes, de femmes politiques ou d’intellectuelles.

Les débats restent-ils circonscrits aux femmes ou touchent-ils les hommes?

Il ne faut pas oublier que même s’ils le sont dans une moindre mesure, il y a des hommes victimes d’agressions sexuelles, de viols, de harcèlement sexuel. Certains ont pris la parole sur Twitter.

Des hommes aussi ont dit qu’ils n’avaient jamais réalisé l’ampleur, qu’ils ne se rendaient pas compte, ou  réalisé que peut-être eux-même n’avaient pas toujours été très corrects.

Mais d’un autre côté, on voit aussi un nombre assez massif de réactions extrêmement négatives vis-à-vis des témoignages, de la part d’hommes mais aussi de femmes, qui vont mettre en cause les femmes victimes, soit en leur attribuant une part de responsabilité, soit en les critiquant parce qu’elles auraient dû porter plainte. Cela montre un déni de l’ampleur et de la réalité de ces violences.

Y a-t-il une baisse de la tolérance de la société, ou au moins une prise de conscience, vis-à-vis des violences sexistes et sexuelles?

Ce n’est pas à partir des événements récents qu’on va pouvoir le dire, mais les différentes enquêtes sociologiques tendent à montrer effectivement une baisse de tolérance, au moins sur les actes les plus graves.

C’est plus compliqué concernant ce que certains ont envie de qualifier de drague lourde ou de séduction, et qui s’appelle harcèlement sexuel dans le code pénal. Là, on continue à avoir des tolérances assez importantes de la part d’un grand nombre de personnes.

Si ce qui s’est passé ces derniers jours ne s’accompagne pas de campagnes publiques d’information, de prévention et d’éducation, ça risque de rester un épiphénomène. Il faudrait que le débat se prolonge dans les espaces publics: politiques et médiatiques.

Le Quotidien / AFP