Des tonnes de pain finissent à la poubelle chaque année, faute d’être consommées. Et si la solution à ce gaspillage alimentaire s’avérait rafraîchissante? Au Royaume-Uni, une association produit une bière à partir d’invendus de pain et exporte ce concept à travers le monde.
Des dizaines de croûtons tombent dans une vaste cuve en inox de la brasserie Wold Top située près de Driffield, dans le Yorkshire (nord de l’Angleterre). Fraîchement produits, ils viennent directement d’une usine de sandwichs qui n’utilise que les tranches moelleuses et met de côté les extrémités du pain, peu prisées des consommateurs. Avant, celles-ci étaient jetées, aujourd’hui elles sont transformées.
« Nous remplaçons une partie du malt par du pain », explique Alex Balchin, à la tête de la brasserie, qui fabrique depuis 2016 ce breuvage doré en ajoutant de l’eau, du houblon et des levures, pour le compte de Feedback, une association de lutte contre le gaspillage alimentaire.
Cette bière baptisée « Toast ale » a vu le jour grâce à Tristram Stuart, le fondateur de Feedback. Il s’est inspiré des brasseurs bruxellois du « Brussels beer project » qui ont lancé la Babylone.
Comme les Babyloniens
« Ils m’ont expliqué que les anciens Babyloniens ont inventé la bière afin d’utiliser du pain et des grains qui, sinon, auraient été perdus. C’était l’objectif initial de la bière », il y a plusieurs milliers d’années, raconte ce Britannique de 40 ans.
Aujourd’hui, « des quantités industrielles de pain sont jetées dans le monde et les associations d’aide alimentaire ne peuvent distribuer tout le pain qui leur est offert. En même temps, il y a cet engouement dans le monde pour les brasseries artisanales », constate Tristram Stuart.
« J’ai voulu créer une entreprise qui associe des fournisseurs et des brasseurs locaux, ainsi que des associations caritatives locales, pour faire de ‘Toast ale’ une entreprise internationale qui transforme du pain parfaitement bon en bière encore meilleure », explique-t-il.
Tous les profits sont reversés à Feedback et les grains restant à l’issue du brassage sont recyclés et servent à l’alimentation du bétail.
La première bière « Toast » a été produite dans l’émission du célèbre chef britannique Jamie Oliver, qui l’a aussitôt goûtée et qualifiée de « bloomin’ lovely » (« super chouette »), devenu son surnom.
Aujourd’hui, le concept Toast se décline en quatre bières (deux Lagers, une Pale ale et une India Pale Ale) et a remporté plusieurs récompenses. Des partenariats ont été noués avec différentes brasseries qui élaborent leurs propres versions, comme Wiper and True à Bristol qui a créé la Bread Pudding, une bière ambrée dont le goût rappelle le célèbre gâteau anglais.
Les brasseurs de Wold Top ont « commencé avec du pain en tranches, blanc ou complet », raconte Alex Balchin. « Maintenant on expérimente d’autres choses, des pains au lait, des petits pains ronds… On a essayé toutes sortes de pain et jusqu’à présent, ça a l’air de fonctionner avec tout. »
Recette en ligne
Au Royaume-Uni, 9,75 tonnes de pain ont déjà été utilisées pour produire plus de 300 000 bières, vendues entre 2,5 et 3 livres la bouteille (entre 2,80 et 3,40 euros), un prix qui se situe dans la norme pour les bières artisanales.
C’est un petit pas pour l’environnement mais il reste beaucoup à faire pour réduire le problème du gaspillage alimentaire: près de la moitié (44%) du pain produit au Royaume-Uni finit à la poubelle, soit près de 900 000 tonnes chaque année. Le pain est le produit alimentaire le plus gaspillé dans le pays.
« Quand on regarde ce qui se passe dans le monde, c’est vraiment déprimant », commente Tristram Stuart.
Mais « la solution à ce problème s’avère délicieuse », se réjouit-il.
« Toast ale » a grandi très vite et a commencé à brasser à New York, à Rio et au Cap (Afrique du Sud).
Une recette pour transformer le pain en bière a aussi été mise en ligne, afin que chacun puisse s’initier au brassage et contribuer à sa façon à la réduction des déchets. « Elle a déjà été téléchargée 16000 fois, c’est vraiment utilisé par plein de gens », s’enthousiasme Tristram Stuart.
La prochaine étape ? Développer une licence, pour que n’importe quel brasseur dans le monde puisse produire la Toast ale en association avec des fournisseurs locaux d’invendus de pain.
Mais avant toute chose, l’objectif de Feedback est de réduire la production massive de pain.
Paradoxalement, « nous espérons mettre fin à nos activités », affirme Tristram Stuart. « Le jour où le pain ne sera plus jeté à la poubelle, Toast ale n’aura plus de raison d’être ».
Le Quotidien/AFP