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[Grand entretien] Gast Waltzing : «c’est une chance d’être au Luxembourg»


Gast Waltzing, musicien, compositeur, professeur.... visage incontournable de la musique, livre son regard sur le Grand-Duché (Photo : Julien Garroy).

Il était vendredi à Eindhoven, samedi à Anvers et hier à Bruxelles avec sa camarade béninoise Angélique Kidjo. Gast Waltzing, le plus célèbre des compositeurs et chefs d’orchestre grand-ducaux, lauréat d’un Grammy, continue de parcourir la planète. Rencontre.

Nous sommes au Conservatoire de Luxembourg. Peut-on dire que c’est votre deuxième maison ?
Gast Waltzing : C’est plus que ma deuxième maison. J’ai passé plus de temps ici que chez moi ou n’importe où ailleurs. Quand j’étais jeune, il n’y avait encore, au Luxembourg, que la Musique militaire et l’orchestre de RTL. Moi, j’ai commencé à jouer dans la fanfare d’Useldange. Là, on ouvre une armoire, on voit ce qu’il y a comme instrument et on te donne ce qui reste. J’ai eu une trompette. C’est le chef de la fanfare, monsieur Meis, qui a proposé à mon père de m’inscrire au Conservatoire, j’avais 7 ans. Pour mon père, aller à Luxembourg, c’était presque aller à l’étranger. J’ai quand même étudié le solfège et la trompette et j’ai fini par aller à l’internat pour étudier à l’Athénée. On a une grande chance au Luxembourg, c’est que le Conservatoire est quasiment gratuit pour les élèves. Et je trouve ça super. Pour moi, il y a deux choses qui doivent rester toujours gratuites : l’éducation et la santé. Je n’aurais jamais pu faire d’études si ça avait été payant comme aux États-Unis.

Des études que vous avez continuées à Bruxelles et à Paris avant de revenir.
Dès mon retour, j’ai toujours le rêve de fonder un département de jazz. À ce moment-là, il n’y avait rien jusqu’à Cologne. Ça n’a pas été simple. J’ai commencé seul, il y a une vingtaine d’années. Actuellement on a neuf professeurs et chargés de cours. Dernièrement, le département est devenu celui des musiques actuelles, car on l’a élargi à la musique de film et au pop-rock et on a même des synergies avec la musique contemporaine, la world, etc. La musique bouge, il faut donc jeter des ponts entre les styles, pas bâtir des frontières.

C’est ici que vous êtes « né » en tant que musicien ?
(Il réfléchit) Non. Mon père jouait déjà dans la fanfare d’Useldange et il paraît que, dès mes trois ans, je jouais l’Hämmelsmarsch avec la fanfare sur le tambour que m’avait offert mon grand-père. Ça sonne bête, mais j’ai toujours voulu faire de la musique. Mais c’est au lycée que l’idée est venue de le faire professionnellement. Et je peux vous dire qu’à la maison ils n’étaient pas très contents.
C’est drôle la manière dont vous êtes venu à la trompette. On imagine souvent que le choix de l’instrument est mûrement réfléchi.
À mon époque non, mais je crois qu’aujourd’hui les enfants, avec les cours d’initiation instrumentale, de découverte, etc. peuvent plus choisir les instruments qui leur plaisent.

La trompette, un instrument qui ne pardonne pas

Et du coup, quelle relation entretenez-vous avec votre trompette ?
Dure! La trompette est un instrument qui ne pardonne pas. Je me suis toujours dit que s’il y a une deuxième vie, je dois seulement me souvenir de ne pas prendre la trompette. Quand je vois les saxophonistes qui rentrent de longues vacances et peuvent jouer pendant des heures, ça m’énerve. Nous trompettistes, on est morts après cinq minutes, tellement il faut forcer sur les muscles des lèvres. Du coup, on doit travailler tout le temps.

Lors de l’annonce de l’arrêt de votre projet Largo, en 2016, vous expliquiez que vous n’aviez plus le temps de jouer. Ça ne vous manque pas ?
Je joue tous les jours, à peu près deux heures. C’est le strict minimum pour garder le niveau. Ce n’est pas suffisant pour retourner devant le public.

Dans le film d’Alan Parker The Commitments, (1991), Joey « The Lips » Fagan explique qu’il faut donner un nom à sa trompette. Comment s’appelle la vôtre ?
(Il rit) Je l’ai souvent appelée « bitch » (NDLR : garce) quand je n’arrive pas à faire ce que je veux. C’est une love-hate relation (une relation d’amour-haine). Plus sérieusement, non, je n’ai jamais donné un nom à mes trompettes, d’autant qu’il faut les changer tous les 8 ou 9 ans, car avec la salive elles s’abîment.

(Photo : Julien Garroy)

(Photo : Julien Garroy)

Toujours pas de come-back prévu pour Largo ?
Je travaille en ce moment sur de nouvelles compositions, mais je ne pense pas que ce soit du Largo. Et c’est bien ainsi. Il y a eu Atmosphere, puis Life’s Circle, puis Largo. Ce sont des étapes et je ne pense pas qu’il faille retourner en arrière.

En tout cas, désormais, on vous voit plus comme un compositeur et un chef d’orchestre.
C’est aussi une étape. J’ai toujours voulu être trompettiste classique. Mais j’ai eu la chance de jouer à deux reprises avec Maurice André et je me suis rendu compte que je n’atteindrais jamais son niveau. À 33 ans, j’ai donc arrêté de jouer des concerts classiques. C’est douloureux, mais heureusement j’avais la composition, le jazz, la variété. Diriger, par contre, n’a jamais été dans mes plans de carrière. J’avais étudié la direction, mais c’est tellement difficile d’entrer dans ce milieu. J’y suis arrivé par hasard, lors de Luxembourg, capitale européenne de la culture en 1995. J’avais écrit un morceau pour orchestre symphonique et quartette jazz. Il y avait un chef de prévu, mais à la répétition on a vu que ça ne marchait pas. Alors, Philippe Koch, premier violon de l’OPL, m’a poussé à prendre la place. J’ai eu beaucoup de chance que l’OPL m’ait non seulement offert cette chance, mais aussi rappelé par la suite. Si j’avais fait ça ailleurs dans le monde, on ne m’aurait très probablement plus jamais rappelé. À ce niveau-là, c’est une chance d’être au Luxembourg.

Pourtant beaucoup de musiciens se plaignent qu’on peut difficilement vivre de sa musique au Grand-Duché…
Je ne suis pas d’accord. Le monde est grand, il faut l’explorer. Et puis, au Luxembourg, pour un petit gig, on peut parfois gagner 5 à 7 fois plus que de très bons musiciens aux États-Unis ou en France.

Parlons d’Angélique Kidjo, avec qui vous avez remporté un Grammy Award et avec qui vous continuez à avoir des projets. C’est une grande histoire d’amour ?
Oui, une grande histoire d’amour. Je la connaissais du temps de nos études à Bruxelles. Mais on s’est perdus de vue. Bien plus tard, j’ai entendu un concert et je me suis dit que ce serait bien avec un orchestre symphonique. Je suis allé lui parler, elle m’a pris pour un fou. J’ai quand même fait deux-trois maquettes et elle a trouvé ça bien. Il ne restait plus qu’à convaincre l’Orchestre philharmonique et la maison de disque. C’était long et difficile. Mais une fois que ça a pris, elle s’est donnée à 100 %. Depuis, on fait entre 15 et 20 concerts par an, partout dans le monde.

L’an dernier s’est arrêté le Festival international d’Echternach, dont vous étiez directeur artistique pour la saison jazz. Vous le regrettez ?
Aucunement. C’était une belle manifestation, mais ils étaient dépassés. Et ce n’est pas la faute de la Philharmonie, comme certains ont dit. Ça n’a rien à voir. Les choses changent. À une époque, quand un grand artiste venait au festival, c’était une occasion unique de le voir au Luxembourg. Dernièrement ce n’était plus le cas. Il y a des concerts partout dans le pays. Il faut donc faire autre chose.

Justement, comment voyez-vous l’évolution de la scène artistique, culturelle, au Luxembourg ?
Elle a fait un bond en avant énorme. Elle s’est professionnalisée, même dans le milieu pop-rock ça commence à venir, même s’il y a encore des habitudes à changer pour sortir de la zone de confort qu’on a au Luxembourg. Deux de mes élèves au Conservatoire sont récemment entrés au Conservatoire de Paris, ce qui est pour moi la plus belle des récompenses. Sur 400 candidats, il n’y en a que 10 qui sont pris, dont deux Luxos. Ça veut dire qu’on ne fait pas trop de la merde ici !

Il faut partir pour réussir ?
Je pense oui. Il faut quitter le pays car on est trop vite le « boss » ici. Être le meilleur des meilleurs au Luxembourg, ça ne veut pas dire grand-chose. Mieux vaut être un petit poisson dans un grand lac, qu’un très grand poisson qui tourne en rond dans un bocal.

Et comment voyez-vous l’évolution qu’a connue le pays ?
J’ai toujours adoré l’aspect multiculturel du pays. Son vivre ensemble. Dernièrement, on est plus nombreux, et malgré un certain communautarisme qui s’installe, c’est super, sauf au niveau des infrastructures. Mais bon, je ne comprends pas comment on peut travailler sur une route pendant sept ans sans la finir. Moi, j’ai un délai pour composer une musique de film, si je ne délivre pas à temps, plus jamais on m’appelle !

Arrêter de se dire artiste quand on est pas professionnel

Quelle serait votre première action si vous étiez nommé ministre ?
Houla! je vais me faire beaucoup d’ennemis, là… Je suis de l’avis qu’il faut absolument soutenir l’art amateur, mais je crois qu’il faut arrêter de se dire artiste, peintre, musicien, etc. quand on n’est pas professionnel. Moi, en tant que musicien, même amateur de médecine, je ne peux pas aller à l’hôpital et dire « hey, ce matin, je veux faire une opération! » On me jetterait dehors, avec raison. Idem dans un tribunal. Alors pourquoi est-ce que tout le monde aurait le droit de se dire artiste ? Ce n’est pas normal. Au lieu d’arroser avec des subventions un peu partout, je soutiendrais des projets de qualité et professionnels qui peuvent, même si ça demande des années, donner quelque chose de grand. Il faut vraiment faire la différence entre amateurisme et professionnalisme.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut plus aider les fanfares et autres structures qui évoluent en amateur. Et puis, il faudrait surtout que les politiciens comprennent que la culture, c’est aussi un business. Et ça peut rapporter à l’État. Je paye des impôts sur mes droits d’auteur, je paye 17 % de TVA sur mes compositions, alors que pour les livres c’est 3 % ! Plus de professionnels, ça veut dire plus de rentrées fiscales. Au Luxembourg, on sait donner de bonnes conditions pour que de grandes sociétés s’installent ici, mais alors pourquoi ne pas avoir fait ce qu’il faut pour faire venir de grandes maisons d’édition ?

Il y a quelque années, vous regrettiez la chute des ventes d’albums et le manque d’aides financières étatiques pour les producteurs. Est-ce que cela a changé ?
Non. Je ne suis pas de ceux qui disent qu’il faut des subsides pour tout, il faut aussi payer de son côté, mais, parfois, il faudrait vraiment faire plus. Quand on veut tourner à l’international, en tant que musicien, il faut un producteur, un booker, etc. Maintenant avec music:LX, on est sur la bonne voie, mais c’est insuffisant.

D’autres milieux culturels jalousent justement ce bureau export de la musique…
Peut-être, ils n’ont qu’à le faire. Au départ, on était juste six personnes à fonder music:LX sur nos noms propres. Il ne faut pas toujours attendre l’aide de l’État pour faire les choses.

Que vous reste-t-il comme défi, comme rêve professionnel ?
J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie professionnelle, j’ai fait des choses que je n’aurais jamais imaginé faire – gagner un Grammy par exemple, qui m’a ouvert beaucoup de portes –, mais oui, j’ai encore deux petits rêves : écrire un ballet et un opéra.

Qu’est-ce qui vous en empêche ?
Il faut d’abord trouver un bon librettiste, ce qui est très difficile. Et trouver une maison de production prête à le financer. Ce sont des projets très coûteux. Mais bon, qui sait, j’ai encore le temps.

La retraite n’est pas pour tout de suite si on comprend bien ?
Je pars du Conservatoire l’année prochaine. J’aurai atteint la limite d’âge. Pour le reste, j’ai déjà des projets pour les quatre prochaines années. Je viens d’ailleurs d’être nommé chef de l’orchestre d’Avignon pour des projets non classiques. Mon premier projet aura lieu en mars avec la création mondiale de La Femme samouraï de Pierre Thilloy, un compositeur que j’adore. Mais je ne communique pas trop là-dessus, car le Luxembourg est quand même un pays de jaloux.

Entretien avec Pablo Chimienti

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