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Fatrasie : le joyeux désordre de Brigitte Fontaine


Fatrasie

Brigitte Fontaine

Le Tripode

On la dit légende de la poésie et de la chanson, ce qui la fait un jour sourire, le lendemain colérer. Le 24 juin, elle a fêté son 84e anniversaire en son royaume parisien de l’île Saint-Louis. Deux jours plus tôt, elle se glissait en librairie avec un nouveau livre au titre énigmatique : Fatrasie. C’est gai, crépusculaire et beau, oui, parce que c’est signé Brigitte Fontaine!

Laquelle explique le titre de ce recueil, cette «fatrasie», un genre mineur de la poésie médiévale qui fait le choix délibéré de l’incohérence, des sauts de ton et de registre. «C’est un mot que personne ne connaît, à part moi! Il veut dire méli-mélo de petits poèmes, d’histoires plus ou moins sensées, plus ou moins sinistres.»

Et la reine des kékés, la poétesse punk, la «folle» (si l’on en croit quelques incultes tenanciers de plateaux télé) de nous embarquer dans son monde de panache déjanté où l’on ne cesse de célébrer la vie, la mort, le couple, le sexe et aussi les chats, sans oublier ce que, de temps à autre, on appelle «l’Unique».

Dans cette centaine de pages de folie, de furie et de paix, placées sous la haute surveillance de Charles Baudelaire (avec des mots extraits du poème Bénédiction : «Je sais que la douleur est la noblesse unique / Où ne mordront jamais la terre et les enfers / Et qu’il faut, pour tresser ma couronne mystique / Imposer tous les temps et tous les univers»), c’est la grande dérive, textes de quelques lignes en vers libres, texte en prose ramassée, textes de trois pages…

On ouvre, on lit : «Détresse traîtresse / poison + ordures / fiel et morsures / sanglots secs / sanglots malins/ poignards partout / pluie de plomb». Ou encore : «Crapule sauvage, pauvre petite fleur fanée, en lambeaux dégradés, serviles et révoltés, abandonnée, ça c’est nouveau, entourée d’hostilité et de réprobation violente; oui abandonnée, oui parfaitement, oui petite fleur décrépite, moi, oui moi, l’ex-prodige, l’étron vertigineux, inaperçu, maussadement tragique».

Allongée sur son lit ou sur une méridienne, Brigitte Fontaine confie que son corps ne suit plus, que le temps des concerts est passé. Reine magnifique, ambassadrice éternelle de Morlaix, du cap Fréhel et de Terre-Neuve, elle en profite pour rappeler qu’elle qui, enfant, s’imaginait un avenir de grande comédienne est surtout une écrivain (attention, ne jamais lui dire «écrivaine», c’est l’assurance d’une belle colère!).

Dans le passé, nous avions savouré La Limonade bleue, L’Onyx rose, Paroles d’Évangile, La Vieille prodige ou encore Vers luisants. Et maintenant Fratasie, merveilleux barrage à la mort d’une auteure qui a «l’honneur d’être la reine du Mardi-Gras» et qui ne craint pas les exhibitions. Une auteure qui confie : «Entre la mort et moi, un barrage : l’écriture».

Dans ces mots résonne la voix de la poétesse et d’une femme qui, toujours, s’est voulue libre. Drôle et tragique, aussi. Son éditeur, quant à lui, glisse une tendre définition de la dame : «Chanteuse, comédienne, écrivain, dramaturge et parolière française, dixit le net. Pas net pour autant».

Elle-même nous avait, en 2012, glissé son Portrait de l’artiste en déshabillé de soie – déjà un autoportrait alors qu’elle a juré ses grands dieux qu’elle n’en écrirait qu’un seul… Qu’importe! Avec Fatrasie, tenue d’une reine installée en son palais sur un rocher méditerranéen et gouaille d’une picolo savourant un ballon de blanc à 9 h du matin dans un troquet, Brigitte Fontaine manie comme nulle autre le désordre joyeux, tout en œuvrant encore et toujours pour l’honneur des femmes. Et joue, en phrases et mots éblouissants, avec la mort, parce que «la mort, c’est la seule chose qui soit sûre. Et encore!».

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