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Fallait pas chercher Cantona !


En six épisodes, on va suivre un homme en colère dans une société moderne qui prend, essore, écrase l'individu, à quelque poste et niveau qu'il soit… (Photo : ARTE)

Adaptée d’un roman de Pierre Lemaitre, voici la série Dérapages, un thriller haletant à caractère social. Six épisodes magnifiés par un formidable Éric Cantona tout en douce violence, en tranquille rébellion. Rendez-vous jeudi sur ARTE.

Gros plan sur le visage. Cheveux ras, barbe grisonnante. Regard fixe, face caméra, l’homme dit : «J’ai jamais été un homme violent. J’ai jamais voulu tuer personne (…) Je m’appelle Alain Delambre. J’étais ce qu’on appelle un senior. Sur le marché du travail, un senior c’est le dernier type qu’on embauche quand il y a du boulot et le premier qu’on vire quand il y a une charrette…»

Voix posée, chaude et profonde, l’homme ajoute que sa charrette à lui remontait à six ans, et plan suivant, on le découvre agent d’entretien dans le sous-sol d’un parking… Ainsi débute Dérapages, la nouvelle série-événement proposée par ARTE, réalisée par Ziad Doueiri et portée par Éric Cantona. Dès ces premières images, on perçoit une douce violence, une tranquille rébellion. En six épisodes, on va suivre un homme en colère dans une société moderne qui prend, essore, écrase l’individu, à quelque poste et niveau qu’il soit…

«J’ai été 25 ans DRH (NDLR : directeur des ressources humaines). Après six ans de chômage, la condamnation à des jobs minables et à l’humiliation permanente», dit encore Alain Delambre, ce cadre usé à 57 ans par le chômage et qui part en guerre contre le système qui l’a trahi, détruit. Massif, musculeux, à bientôt 54 ans, Éric Cantona a été une évidence pour incarner le personnage.

Récemment, il confiait ce qui l’avait séduit dans ce personnage : «C’est un rôle assez rare. Mon personnage passe par des émotions très fortes, très variées, dans des univers incroyablement différents. Ces étapes parlent à tout le monde : l’humiliation, la révolte. J’ai aimé aussi beaucoup l’humour, une ironie sur la vie, sur le système.»

Donc, après six années de galère, une altercation avec un employeur qui met fin à l’équilibre précaire et le soutien de sa femme Nicole, il candidate dans un cabinet de recrutement. Il passe des tests pour un job, il est sélectionné pour un poste de DRH – le job, il connaît. «Ce poste est un miracle et j’allais retrouver la femme de ma vie», raconte Alain Delambre. Mais derrière le cabinet de recrutement, il y a Alexandre Dorfmann, le PDG d’Exxya, une multinationale en difficulté qui prépare un important plan de licenciement.

Dans une première vie, port altier, col relevé, Éric Cantona fut un footballeur unique. International français (45 sélections, 20 buts), mésestimé en France, il fut dans les années 1990 superstar en Angleterre. Avec Manchester United et l’estime du manager Alex Ferguson, il eut droit à une chanson («Ooh Aah Cantona!») et même des titres d’Éric the King et King Eric, et a été élu «joueur du siècle» par les supporters du club mancunien en 2001.

Il fut aussi celui qui, touché par la grâce poétique, pouvait lancer des phrases aussi absconses que surréalistes. Exemple : «Quand les mouettes suivent le chalutier, c’est qu’elles pensent qu’on va jeter des sardines à la mer», lâche-t-il à la presse, alors qu’il a porté un coup de pied à un supporter de Crystal Palace qui l’insultait, écopant au passage d’heures de travaux d’intérêt général. Il fut également un membre important de l’Union internationale des footballeurs professionnels, avec un autre génie du ballon rond : Diego Armando Maradona.

Lorsqu’il range les chaussures à crampons et entame sa deuxième vie, il continue à honorer et pratiquer l’art. Dessin, peinture et, en 1995, le cinéma qui le mène jusqu’au réalisateur britannique Ken Loach – ensemble, ils signent le magnifique Looking for Eric (2009). En ce printemps, il incarne le personnage principal de Dérapages, série adapté de Cadres noirs, roman paru en 2010 de Pierre Lemaitre (prix Goncourt 2013) qui signe le scénario avec Perrine Margaine.

À la réalisation, Ziad Doueiri, ancien assistant de Quentin Tarantino et qui a mis en images quatre longs métrages (dont West Beyrouth en 1998) et trois séries télé (dont Baron noir en 2016). À la question de son choix par Doueiri pour ce rôle, Eric the King répond : «Il ne me connaissait pas du tout avant de me rencontrer. Libanais, il a passé beaucoup de temps aux États-Unis. Il a travaillé là-bas et il ne connaît pas du tout le football. C’est même sur photo qu’il m’a choisi…»

Pour ce thriller haletant à caractère social mêlant polar, feuilleton judiciaire et drame familial, pour ce personnage antihéros ambigu et sympathique, Cantona confie également avoir là «un personnage rare» et d’ajouter : «Avec le réalisateur pendant un mois et demi, nous avons consacré du temps à la préparation du rôle, de sorte qu’en arrivant sur le plateau nous étions en confiance et en accord sur la direction à prendre…»

À l’écran, «Canto» (une trentaine de films à ce jour sur son CV) est parfait dans le costume de cet homme en colère, de cet homme qui va prendre le système à son propre jeu, à son propre piège. Confidence d’Éric Cantona : «Dans ce personnage, j’ai mis beaucoup de moi. Même si je n’ai pas forcément vécu les mêmes choses que lui, que je ne me suis jamais retrouvé au chômage, il y a une part de moi qui est animée par la même révolte»… Encore et toujours, c’est Éric Cantona qui mène la révolte. Éric the King forever !

Serge Bressan

Dérapages, de Ziad Doueiri.
Épisodes 1 à 3, jeudi à 20 h 55.

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