Jets de peinture, farine, soupe… Cibles de militants écologistes, les œuvres d’art dans les musées publics n’y sont pourtant pas assurées, sauf en cas de prêt ou déplacement, a contrario de celles exposées dans les institutions privées.
Volée en 1911 au Louvre par un ouvrier italien et retrouvée deux ans plus tard, la célèbre Joconde, jugée «inestimable», a été placée sous vitre blindée. Mais d’autres chefs-d’œuvre exposés dans le plus grand musée du monde ne disposent pas d’une telle protection : en cas de déprédation, destruction ou vol, l’État est son propre assureur et n’est pas dédommagé.
«Les collectivités publiques n’assurent pas leurs œuvres généralement, à l’exception des dépôts d’œuvres privées», confirme le ministère de la Culture. En cas de dommage dans leur lieu habituel d’exposition, c’est «l’État ou la collectivité» qui met en œuvre «les dépenses nécessaires», explique cette même source.
En revanche, les institutions privées, comme les fondations Giacometti et Louis Vuitton ou encore la Collection Pinault, «assurent généralement leurs collections», a indiqué Irène Barnouin, responsable en France de la branche Arts du courtier en assurance WTW. Ce sont alors les compagnies d’assurance privées – souvent «des acteurs spécialisés émanant de grands groupes d’assurance» connus (Axa XL, Helvetia, Hiscox, QBE…) – qui couvrent l’œuvre à «différents niveaux».
Un coût «extrêmement élevé»
Pour les musées publics, «assurer (dans leurs murs) les œuvres, à la valeur souvent inestimable, ne les rendrait pas moins vulnérables et ce serait une dépense extrêmement élevée sans corrélation avec les risques», estime le ministère de la Culture. En revanche, en cas de prêt ou déplacement, pas le choix : les œuvres d’art doivent être assurées par l’institution qui les emprunte, qu’elle soit publique ou privée.
C’est dans les «phases de manipulation», «lorsqu’on descend l’œuvre du clou, l’emballe, la met dans un moyen de transport et qu’on la sort pour la remettre au clou», que le risque est le plus élevé de l’abîmer, explique Daphné de Marolles, responsable en France de la branche Arts d’Axa XL. Mais l’assurance couvre aussi l’œuvre une fois installée dans son organisme d’accueil.
Des primes à plusieurs centaines de millions
Une bonne nouvelle pour la collectionneuse qui a accidentellement brisé samedi dernier lors d’une foire d’art contemporain à Miami une petite sculpture en verre du célèbre Jeff Koons, estimée à 42 000 dollars. Cette garantie «clou à clou» fixe la valeur de l’œuvre ainsi que le montant de la prime d’assurance, qui dépend aussi d’autres paramètres (nature du transport, conditions d’exposition…).
Cette prime peut se chiffrer à «plusieurs millions, voire centaines de millions», selon le ministère de la Culture, qui évalue à «plus d’un milliard d’euros» les «primes d’assurances cumulées des prêts des musées nationaux consentis par la France au Louvre Abou Dabi (Émirats arabes unis) pour l’exposition sur l’impressionnisme», qui se tient jusqu’en février. Sollicités sur leur politique d’assurance, tous les musées ou fondations ont refusé de commenter.
Ne pas mettre l’art sous cloche
Une action de militants écologistes qui endommagerait un tableau constituerait du «vandalisme», cas d’espèce «toujours inclus dans les contrats d’assurance» privés, précise Irène Barnouin. Mais cela n’empêche pas une certaine «inquiétude» des institutions, devant des «risques aggravés». L’année 2022 a en effet été marquée par de nombreuses actions coups de poing des militants écologistes, aspergeant à Londres les Tournesols de Van Gogh de soupe de tomate ou recouvrant à Berlin Les Meules de Claude Monet de purée.
«Même si plusieurs événements ont défrayé la chronique, on n’est pas devant une occurrence folle», tempère Daphné de Marolles. Les œuvres touchées jusqu’à présent étaient «protégées par des vitres, et les dommages relativement faibles», souligne l’experte. Pour elle, les attaques d’activistes relèvent plus du «symbole pour faire passer un message» que d’une volonté de générer «des dégâts irréparables».
«Le sujet, c’est la sécurité des œuvres et la sûreté des établissements», estime le ministère de la Culture, rejoint sur ce point par cette experte. Elle estime cependant qu’il ne faudrait pas mettre l’art sous cloche, mais «trouver un certain équilibre», car la mission d’un musée est aussi de «préserver l’émotion du public devant une œuvre».
Inestimables, vraiment?
Combien vaut la Joconde? Difficile de fixer un chiffre sur un chef d’œuvre, dont la valeur paraît «inestimable» par son importance historique et artistique, d’autant plus s’il est conservé dans un musée. C’est pourtant une question à laquelle doivent répondre les assureurs, lorsqu’ils établissent les contrats en vue d’éventuels dommages et remboursement. Mais comment s’y prennent-ils?
Chez les collectionneurs, le marché donne le la
«La valeur d’une œuvre est déterminée par sa valeur de marché», explique Daphné de Marolles. «Sur le marché de l’art, il y a des missions d’expertise, des maisons de vente qui vont donner une valeur à l’œuvre», en fonction de plusieurs paramètres, notamment «la cote de l’artiste». Cependant, «les œuvres d’art dans les musées sont rarement passées sous le marteau d’une maison de vente, donc on n’a pas une valeur de marché», explique-t-elle. Il faut alors trouver une autre solution.
Dans les musées, faire confiance aux conservateurs
Pour les œuvres conservées dans les musées, «c’est l’institution qui fixe la valeur», indique Irène Barnouin, car «ce sont les conservateurs et les entités qui y travaillent qui ont la meilleure connaissance de la valeur de leurs œuvres». Ce que l’assureur ne met jamais en doute : «On se fie au professionnalisme de l’institution», car ce sont «des centaines d’œuvres» qui sont assurées tous les jours (notamment pour leur déplacement). Dans le cas d’un prêt, le musée qui reçoit cette exposition et le prêteur (institution, particulier) «se mettent d’accord sur une valeur de l’œuvre», qui est spécifiée dans la convention de prêt et va déterminer «la valeur en cas d’indemnisation nécessaire».
Une science inexacte
Malgré tout, déterminer la valeur d’une œuvre ne relève pas d’une science exacte. «Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a des approches de valorisation différentes en fonction des pays», révèle Irène Barnouin, comme les Américains qui «valorisent leurs œuvres et artistes un peu plus que les Européens», explique l’experte. Et pour les œuvres emblématiques, chiffrer leur valeur réelle et dédommager ses propriétaires en cas de problème est impossible. «Ce serait extrêmement difficile d’estimer la valeur réelle de la Joconde!», concède Daphné de Marolles, aussi bien en cas de destruction («perte totale») que de restauration.