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[Exposition] Rayyane Tabet en trois temps


Le sous-sol du pavillon abrite l’une des deux pièces maîtresses de l’installation Trilogy : une étagère qui se dresse du sol au plafond, sur laquelle sont exposées 200 carafes fabriquées à partir de verre recyclé. (Photo : valentin maniglia)

L’artiste libanais Rayyane Tabet fait résonner l’histoire du Mudam avec sa propre biographie dans Trilogy, une installation en prélude à l’expo évènement «A Model».

Rayyane Tabet commence sa visite performative, justement intitulée Window Treatments, en confessant sa fascination pour les fenêtres. Chacune, dit-il, raconte sa propre histoire. Il en sait quelque chose, lui qui fut formé comme architecte. Au Mudam, dont le rez-de-chaussée est baigné dans la lumière, l’artiste libanais trouve une parfaite aire de jeux. C’est précisément en terrain d’amusement que souhaite se transformer le Mudam, à moins de deux mois de l’ouverture de l’exposition «A Model», qui reprend le titre d’une exposition révolutionnaire montrée en 1968 au Moderna Museet de Stockholm, dans lequel l’artiste et militant Palle Nielsen avait transformé l’espace muséal en un lieu de divertissement à l’attention des enfants.

Trilogy, le projet de Rayyane Tabet qui épouse déjà la forme – en trois temps – de la première exposition du Mudam pour 2024, sert justement de prélude à «A Model». En déambulant dans l’espace, l’artiste amène le visiteur à faire, avec lui, un bond dans l’histoire avec, comme prisme, le musée lui-même. Le parc Dräi Eechelen, témoin de la présence des puissances européennes à travers les siècles, a définitivement changé de visage à partir de 1996, quand fut validée la construction du musée d’Art moderne Grand-Duc-Jean sur les vestiges du fort Thüngen, démoli à l’indépendance du Luxembourg. Pour l’architecte Ieoh Ming Pei, le Mudam forme «un pont entre le passé et le présent»; une formule reprise et réinterprétée par Rayyane Tabet.

Rideaux translucides et peinture bleue

Dans le parcours artistique de l’artiste, la fenêtre est indiscutablement ce qui permet de voir et d’appréhender le monde. En jouant sur les mots et les apparences, Rayyane Tabet présente ses différents points de vue. Ainsi, le contraste entre la passerelle menant au pavillon Henry J. et Erna D. Leir, que l’on traverse caché derrière les rideaux translucides que l’artiste a récupérés de l’appartement de ses grands-parents à Beyrouth, et l’intérieur du pavillon, dont les vitres ont toutes été recouvertes d’un filtre bleu, cache deux histoires.

D’abord, celle des grands-parents de Rayyane Tabet, qui se sont offert comme cadeau pour leur mariage, en 1950, ces fameux rideaux en tergal, une matière synthétique dont l’un des composants, le disulfure de carbone, est hautement toxique et polluant. Ensuite, celle de la guerre de Six jours, en juin 1967, qui a vu pleuvoir les bombardements israéliens sur les pays du monde arabe; pendant six jours, Égyptiens, Syriens, Jordaniens et Libanais ont peint leurs fenêtres et phares en bleu, une couleur difficilement visible depuis les avions bombardiers.

Si loin, si proche

Le sous-sol du pavillon abrite l’une des deux pièces maîtresses de l’installation Trilogy : une étagère qui se dresse du sol au plafond, sur laquelle sont exposées 200 carafes fabriquées à partir de verre recyclé, collecté à l’origine par l’ingénieur et militant environnemental Ziad Abi Chaker à la suite de l’explosion dans le port de Beyrouth, le 4 août 2020. Le jour de la tragédie, Rayyane Tabet se trouvait à San Francisco, où il vit et travaille lorsqu’il n’est pas à Beyrouth. Si loin, si proche… Et l’artiste de donner à ces objets du quotidien un aspect politique en «exprimant la résilience du peuple libanais» face à un drame qui souligne «l’incompétence» et «la corruption» du pouvoir politique de son pays. Trois ans après l’explosion, l’enquête est régulièrement sujette aux ingérences, et aucun responsable n’a encore été désigné.

Rayyane Tabet révèle des symboles à partir de pièces fortes. Sous la lumière bleue du pavillon Leir, il a reconstitué une chambre du sanatorium de Paimio, conçu par le couple d’architectes Alvar et Aino Aalto. Le mobilier fut l’une des premières acquisitions du Mudam; pour autant, c’est la première fois qu’il est exposé, dans sa configuration d’origine. Le blanc du mobilier, infecté par la couleur bleue de Rayyane Tabet, devient ainsi la toile sur laquelle l’artiste superpose son histoire et, enfin, son amour de l’art, de l’histoire et de l’architecture.

Jusqu’au 12 mai 2024. Mudam – Luxembourg.

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