Le Centre Pompidou-Metz puise dans les collections de sa maison mère parisienne pour décortiquer le thème de la répétition en tant que méthode même de création artistique.
C’est ce qu’à Pompidou-Metz, on appelle une exposition «phare». Comprendre puiser librement, «instinctivement» même, dans la collection d’art moderne de la maison mère à Paris, la plus fournie d’Europe avec ses quelque 60 000 œuvres, afin d’y apporter «un regard personnel et critique», précise Chiara Parisi, la directrice de l’antenne messine. C’est à Éric de Chassey, le directeur de l’Institut national de l’histoire de l’art (INHA) et ancien directeur de la Villa Médicis, qu’est revenue cette «opportunité», sous la forme d’une carte blanche. Son idée? Se laisser perdre, «tirer sur un fil» et voir ce qu’il en sort.
Une recherche spontanée qui va l’amener à se questionner sur la répétition, que celle-ci soit un moyen, un processus ou le sujet même des artistes réunis ici (soit une soixantaine). Il explique : «On valorise en général l’invention et la nouveauté, mais la répétition est en réalité un mode opératoire et un motif très présent».
En somme, tout acte créatif ne serait finalement qu’un recommencement, obsessionnel, de gestes et d’actions, loin de la vision romantique du chef-d’œuvre, et loin de l’image selon laquelle toute modernité serait uniquement le fait d’une trouvaille tombée du ciel, d’une idée de génie. «Non, il n’y a pas plus répétitif que la vie d’un artiste», ose-t-il même.
Multiplication, accumulation et persévérance
Selon un assemblage artificiel sans repère chronologique, Éric de Chassey propose de traverser un siècle (1910-2010) de multiplication, d’accumulation et de persévérance, avec, dès l’entrée, une œuvre «emblématique» qui lui sert de fil conducteur : le bien nommé tableau La Répétition (1936) d’une certaine Marie Laurencin.
Celui-ci rappellerait – toujours selon l’interprétation du commissaire – Les Demoiselles d’Avignon de Picasso, toile créée trente ans avant, devenue l’icône du modernisme. Même nombre de figures féminines, même composition pyramidale, même rideau qu’ouvre un des modèles, visages similaires… Les ressemblances, pour lui, sont certaines.
Il n’en faut pas plus pour s’accrocher à l’idée et la dérouler à l’envi, appuyée par une stèle réalisée entre les Ier et IIIe siècles (issue du musée de La Cour d’Or de Metz), où posent côte à côte trois déesses mères semblables, seule œuvre religieuse de la réunion et unique référence à un lointain passé, suffisante toutefois pour signifier que «la répétition est une longue tradition» qui ne s’arrête pas aux XXe et XXIe siècles. Mieux, volatile, elle se fond véritablement dans les activités quotidiennes les plus banales, comme le démontrent trois vidéos où l’on voit le sculpteur Richard Serra chercher (en vain) à saisir du plomb fondu, Marina Abramović se coiffer ou Bruce Nauman se balancer dans son atelier.
De «petites différences» passionnantes
Si la déambulation dans l’espace se veut libre, comme dans une boucle sans début ni fin, Éric de Chassey a quand même posé différents points de repère, soit autant de déclinaisons du verbe répéter («essayer», «insister», «recommencer», «multiplier», «accumuler», «redoubler»…). Au milieu de cette variété linguistique et de cette opiniâtreté à la tâche, c’est finalement le travail de l’artiste qui est célébré.
Certains en ont même fait leur signature : on pense bien sûr aux sérigraphies d’Andy Warhol, mais également aux films que Samuel Beckett a réalisés pour la télévision, dans lesquels des figures reproduisent inlassablement – et sans explication – les mêmes actions. Ou presque.
Tout le charme de la répétition, dirait sûrement le philosophe Gilles Deleuze, pour qui ce rituel, pratiqué jusqu’à l’obsession, accouche de «petites différences» passionnantes. C’est le cas notamment pour François Morellet, qui agrandit (par quatre) certaines de ses anciennes œuvres, vieilles de cinquante ans, bien que le titre de cette transposition moderne suggère que la plus-value reste avant tout dérisoire («Quand j’étais petit, je ne faisais pas grand»). De son côté, Josef Albers a, lui, une idée fixe : le carré. De 1949 jusqu’à sa mort en 1976, il va le reproduire sur plus de 2 000 toiles, au revers desquelles il écrit la recette exacte des couleurs utilisées. Toutes différentes, donc, mais franchement comparables.
De 1 jusqu’à l’infini et au-delà
C’est dans la section «compter» que l’on trouve un trio intéressant, car singulier. D’abord, le peintre Roman Opałka, qui matérialise le passage du temps par une série de tableaux constitués d’une suite de chiffres, allant de 1 à l’infini. Ensuite, Allan McCollum qui, pour évoquer l’unicité et la production de masse, invente les «peintures de substitution» («Plaster Surrogates»), soit un ensemble de petits monochromes noirs encadrés dans les règles de l’art. Enfin, Mary Kelly, au militantisme sensible dès la fin des années 1960, raconte dans une imposante (et fragile) installation métaphorique, faite de textes et d’images, la façon dont la société traite le vieillissement des femmes.
Quelques noms célèbres plus loin (Man Ray, Henri Matisse, Anne Teresa De Keersmaeker…), les grands formats de Simon Hantaï, surréalistes et conceptuels, ne passent pas inaperçus, tout comme la vidéo de Paul McCarthy dans laquelle l’artiste se la joue à la Pollock, mais avec du ketchup, et en mettant son corps en scène.
Du côté local, enfin, saluons le travail de Bernd et Hilla Becher, qui ne semblent photographier qu’un seul et même haut-fourneau, alors que les usines immortalisées se situent aussi bien en Lorraine et au Luxembourg qu’en Pennsylvanie. Autant d’exemples qui montrent que, oui, la répétition a du sens. Que les plus sceptiques qui, comme l’artiste brésilienne Camila Oliveira Fairclough, se questionnent toujours refassent un tour. C’est dans le ton.
«La répétition». Centre Pompidou-Metz. Jusqu’au 27 janvier 2025.