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[Exposition] Mary-Audrey Ramirez entre virtuel et physique


L’exposition, réalisée en collaboration avec la Kunsthalle Giessen, a demandé plus de trois ans de travail. (Photo : lynn theisen)

Avec les créatures de l’exposition «Forced Amnesia», Mary-Audrey Ramirez explore les heureux accidents rencontrés sur la route de la collaboration entre l’artiste luxembourgeoise et l’intelligence artificielle.

Le virtuel et la réalité : deux notions qui ont fini d’être antinomiques depuis que les nouvelles technologies se sont immiscées de façon intrusive dans nos vies. Leur insaisissable porosité définissant les contours du monde actuel, c’est en creusant les possibles de cet entre-deux-mondes que Mary-Audrey Ramirez se pose véritablement comme une artiste de notre temps. Dans son travail, la Luxembourgeoise, lauréate 2019 du prix Edward-Steichen, qui vit et exerce à Berlin, crée des ponts entre l’insaisissable et le tangible, la création numérique et l’objet physique… Non contente de marcher sur le fil qui sépare l’imaginaire et le réel, elle libère le premier de ses carcans pour le faire entrer définitivement dans notre monde.

Pièce maîtresse de «Forced Amnesia», le jeu vidéo éponyme, développé par l’artiste spécialement pour l’exposition au Casino Luxembourg, qui court jusqu’au 28 avril. Pour ce «jeu zen» inspiré du célèbre Journey (PlayStation 3, 2012), le joueur contrôle une sorte de méduse lumineuse à l’intérieur de mondes ouverts, invité à «activer» différentes petites bêtes endormies, tout en échappant à d’autres créatures, bien plus imposantes, qui rôdent sous la forme de fantômes. Le jeu, auquel est dédiée la dernière pièce de l’exposition, est à la fois l’ultime étape et le travail récapitulatif de l’aventure entamée par Mary-Audrey Ramirez, qui mêle intelligence artificielle et réflexion pluridisciplinaire, tout en avouant l’amour qu’elle porte à ses «critters» (bestioles).

«Supprimer l’écran»

Les créatures de l’artiste sont le point de départ de sa réflexion qui résulte aujourd’hui en ce «grand plongeon» artistique. L’exposition, réalisée en collaboration avec la Kunsthalle Giessen – où elle a été montrée dans une première version, au printemps 2023 –, a demandé plus de trois ans de travail à Mary-Audrey Ramirez, pour aboutir aujourd’hui à cette «exposition proposant un concept différent». «Le titre, « Forced Amnesia », est très particulier, explique Nadia Ismail, commissaire de l’exposition. Quand l’amnésie – soit l’effacement d’un ou plusieurs évènements – est forcée, elle a à voir avec la destruction du passé. Il y a beaucoup de couches à découvrir là-dessous.» Une, notamment, concerne l’oubli collectif inhérent à l’alimentation de l’intelligence artificielle, qui prend en compte les résultats par ordre de popularité, reléguant les informations ou les langues moins utilisées à être oubliées.

Contre l’amnésie forcée, Mary-Audrey Ramirez réveille ses créatures, d’abord générées par la saisie de texte dans l’IA (selon sa propre «recette spéciale») puis modelées numériquement et imprimées en 3D. C’est par elles, trônant en majesté dans la première salle de l’exposition, que l’on entre dans l’univers de Mary-Audrey Ramirez, qui abonde : «Ces créatures, nées dans le monde numérique, j’ai voulu qu’on les rencontre « en vrai ». Que le cycle digital soit traduit dans un cycle physique. Il s’agissait de supprimer l’écran qui existait entre nous.»

«Déception positive»

Les «critters», à qui l’artiste a parfois donné des noms («certains sont frère et sœur», glisse-t-elle par ailleurs), ont d’abord été couchés sur des toiles de satin, après que les images générées par l’IA ont été retravaillées par Mary-Audrey Ramirez. La galerie de quelques dizaines de tableaux, dominés par un rose bonbon qui «renforce l’étrangeté» de leur existence, ont été réalisés en 2022, lors de l’explosion de l’usage de l’IA. Pour autant, «l’IA a ce problème de toujours générer des images lisses et jolies, même si ce que l’on recherche est la laideur», explique l’artiste; d’un autre côté, elle avoue que ses propres déboires face à l’IA font partie intégrante de l’exposition. «Quand ma vision d’une image était fixe, et qu’il m’a fallu travailler avec l’image générée, j’ai dû reconnaître mon échec, soit l’incapacité que j’avais à décrire l’image que je voulais obtenir.» «L’IA a sa propre esthétique, j’ai la mienne; ce travail, c’est le mariage des deux.»

Précédant la fabrique de ses petites créatures, l’imposante sculpture blanche qui occupe l’espace de la troisième salle – et que l’on retrouvera sous la forme de fantôme dans le jeu Forced Amnesia –, première approche concluante de cet univers, porte déjà le signe d’une «rencontre avec différentes techniques», digitales et physiques. Une manière, déjà, de commencer une narration poursuivie sur plusieurs formats, et dont le geste artistique reste joyeusement guidé par «la déception positive».

Forced Amnesia, jusqu’au 28 avril. Casino – Luxembourg.

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