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[Exposition] Le Kirchberg «éphémère» de Christian Aschman


À la suite d’une commande du Fonds Kirchberg, le photographe, fan d’architecture, pose son regard sur un quartier résolument tourné vers l’avenir. Et permet de le redécouvrir sous un nouvel angle.

Le quartier n’a plus de secrets pour lui. Il en appréhende les moindres recoins, des grandes artères aux chemins de traverse. Pourtant, le Kirchberg que connaît aujourd’hui Christian Aschman ne sera plus le même demain. Son développement ne semble avoir aucune cesse, comme le montrent ces chantiers poussant un peu partout comme des champignons, dominés par ces grues, figures imposantes et routinières d’un lieu en perpétuelle mutation. Qu’il semble loin le temps où le photographe, alors enfant, demandait à son père de passer par l’autoroute, «la seule du pays», longue de neuf kilomètres qui menait à l’unique «gratte-ciel» du plateau : le Héichhaus et son style «très sixties». Plus loin, le Pont Rouge qui le fascinait déjà pour son «élégance» et sa «simplicité».

Près de cinquante ans sont passés, et le Kirchberg n’est plus le même. Les nouvelles constructions écrasent les précédentes. Les strates s’empilent. «La densification a changé, confirme Christian Aschman. Au début, les bâtiments étaient dispersés, alors que maintenant, tout est compact: les constructions des années 1970-1980 sont toujours là, mais elles sont totalement encerclées par les nouvelles. Et ça prend de la hauteur!» Il rajoute dans un sourire : «Ce lieu, c’est comme un laboratoire d’urbanisme!». Il a pu s’en rendre compte puisqu’en 2022, le Fonds Kirchberg lui a demandé, comme à d’autres avant lui (Marc Theis, Yvon Lambert ou encore Romain Girtgen), d’y apporter sa vision et de renseigner l’évolution du quartier dans une carte blanche à mi-chemin entre commande documentaire et artistique.

Un tracé en tête, deux cartes en main

Sa démarche a toutefois la rectitude du boulevard Kennedy : «montrer l’espace en devenir», soit envisager la photographie comme outil de planification urbaine et territoriale. Concrètement, durant plus d’un an et demi, Christian Aschman, 57 ans, a découvert les joies du tram («pratique»), et surtout la beauté cachée du quartier, la diversité de ses volumes et formes, sa perfection géométrique, son étendue et ses limites. En tête, un tracé qui, d’ouest en est, découpe le plateau en huit zones. Et en main, pas un plan du Kirchberg, mais deux : «L’actuel et celui qui comporte les projets à venir», afin, selon lui, d’enserrer tous les «points de vue» dans son objectif. «En étant quelque part, je sais ainsi que dans le futur, ça va se boucher ou, au contraire, s’ouvrir», précise-t-il en évoquant notamment le prochain chantier de Luxexpo.

Sur le terrain quasiment toutes les semaines, il a enchaîné cinquante sessions photographiques, soit à fleur de trottoirs, soit au gré de promenades champêtres. Si les œuvres d’intérieur sont rares, celles qui prennent de la hauteur sont nombreuses.  Pour ce faire, Christian Aschman a demandé l’accès à certains toits et balcons, habituellement fermés au public. «Il ne s’agissait pas de rester concentré sur les détails, mais aussi d’avoir des plans plus larges. Montrer cet espace qui change en se mettant dans la position de celui qui ne le connaît pas.» Un moyen en effet d’en montrer l’ampleur, parfois déstabilisante. «C’est un espace énorme dans lequel on peut vite être perdu, surtout quand on aime ressentir un lieu.»

Plus de rigueur, moins d’ambiance

S’il avoue que son vertige va se dissiper à l’avenir, vu que «tout va se rapprocher», il a déjà personnellement commencé à réduire les espaces à travers une publication compilant 225 clichés, point de départ d’une exposition réduite à 92 d’entre eux, actuellement visible au Luxembourg Center for Architecture. Sur place, tout est montré sans fioriture : des tables en bois et du plexiglas pour faire «dans le sobre», et un alignement militaire pour rappeler la «linéarité» du Kirchberg. Ici et là, tout de même, un peu de laisser-aller avec des photos posées à même le sol, comme l’on ferait dans un lieu de recherche ou un espace de travail. «C’est aussi comme ça chez moi !», rigole Christian Aschman.

Le Kirchberg, c’est comme un laboratoire d’urbanisme!

Sur des murs «où il est difficile d’accrocher quoi que soit», deux symboles encore : un immense plan du quartier (pour mieux s’y repérer au besoin) et deux images découpées en quatre bandes, comme du «papier peint», métaphore sur l’aspect «éphémère» de l’endroit – ou du moins ce qu’il en a saisi avec son appareil. Que raconte alors son travail? Beaucoup de choses. Techniquement, que le photographe a un regard «très pictural», mais sans abus sur les effets de manche esthétiques. «J’étais plus dans l’observation. Je voulais me concentrer sur l’organisation de l’espace.» Dans ce sens, avec lui, pas de clichés de nuit ou par temps de brouillard. «Là, on serait parti vers quelque chose d’autre, qui tient plus à une forme d’ambiance.»

Quand la végétation prime sur l’humain

Si l’on se représente habituellement le Kirchberg comme une fourmilière surexcitée, surtout aux heures de pointe, chez Christian Aschman, il est rarement habité par la figure humaine. «C’est que les gens travaillent!», lâche-t-il avant de se reprendre : «Oui, il y a quelques pôles d’attraction» comme autour du centre commercial Auchan, ou dans les parcs aux alentours le dimanche. «À certains endroits, même durant la pause de midi, c’est désert!» Raison de plus pour fixer la nature, comme sur cette image prise du côté de Dommeldange où «la végétation a pris le dessus». Celle aussi du Réimerwee et de son «superbe» arboretum. Celle encore du Kuebebierg, réalisée depuis le siège de RTL par «moins 10 °C», recouvert ici de givre et, dans un futur proche, de logements et de bureaux.

Dans un quartier «monstre» qui compte pas moins de dix chantiers en cours, le photographe a aussi mis au jour le terrain de football caché à l’intérieur de la Cour des comptes («qui va disparaître»), réinvesti le bâtiment Schuman et exhumé le passé industriel avec les «cités jardins» labyrinthiques du Kiem. Tant qu’à faire, Christian Aschman se verrait bien dans la peau d’un réalisateur italien ou de Jacques Tati avec ses images mêlant «banlieues» en pleine expansion et «terrains vagues», comme «à Rome dans les années 1960». Les surfaces minérales et bétonnées s’enchaînent, de près et de loin, avec parfois des jeux d’ombre et de lumière, ou plus simplement des fleurs ou encore du mobilier urbain qui fait tache dans le paysage. À l’inverse des musées, au luca, l’expression serait plutôt «durant l’exposition, les travaux continuent…». À la vue des grues, personne n’en doute.

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