Dans le cadre du Mois européen de la photographie, le centre d’art Nei Liicht présente le travail du duo d’artistes luxembourgeois Leonora Bisagno et Bruno Baltzer, réuni sous le titre évocateur «Y a pas photo».
Thématique de l’EMOP dans sa version luxembourgeoise, «Looking for the clouds» s’appréhende comme autant de regards inquiets vers l’avenir et face aux méthodes de surveillance. C’est dans cette problématique que le duo Leonora Bisagno et Bruno Baltzer a choisi de présenter une exposition pertinente sur la relation intime et parfois dangereuse qu’entretiennent les images et la politique.
La photographie a, depuis toujours, suscité la crainte, la fascination, mais aussi la critique, et ce depuis sa création même. Elle fascine et effraie à la fois, par sa capacité à enregistrer le réel de manière objective et subjective à la fois. Depuis l’avènement du numérique et à l’ère des réseaux sociaux, la photographie assied un peu plus son pouvoir, celui de tromper les esprits mais aussi de critiquer ceux qui sont le plus souvent derrière tout ça : la politique.
C’est dans ce vaste sujet que se sont plongés à corps perdu le duo d’artistes luxembourgeois Leonora Bisagno et Bruno Baltzer depuis les deux dernières années. « Depuis 2014, on a décidé de travailler ensemble, de devenir une nouvelle entité. C’est lors de notre voyage en Chine, en 2015, que notre vision a basculé et que l’on s’est réellement concentrés sur cette question de censure, du pouvoir et de la relation de l’image photographique et l’image en général avec la politique », explique ensemble le duo.
En effet, lors de ce voyage, ils se sont vu censurer. Le problème ne résidait pas dans les images, anodines vues urbaines de Luxembourg, mais dans le titre : «Liberté, égalité, fraternité», reprenant la célèbre devise de la République française. De cette expérience s’est posée chez eux la question de la trace que laisse l’image sur une société, mais aussi, dans une société globalisée, quelle culture de l’image va devenir dominante.
Valéry Giscard d’Estaing président… en 1981
Ainsi, dans leur exposition au titre évocateur «Y a pas photo», il y a finalement très peu d’images, du moins qu’ils ont réalisées, mais des extraits, des fragments qui leur permettent de provoquer un questionnement chez le spectateur. « On n’a pas réellement pris de distance par rapport à la photographie même mais par rapport au sujet. C’était pour nous le seul moyen de proposer une analyse du phénomène actuel que vit le monde des images », ajoutent, tout de go, les artistes.
Dans cette période électorale chez nos voisins français, quoi de plus étonnant que de voir l’image des résultats de l’élection présidentielle de 1981 en laissant poindre le visage de…Valéry Giscard d’Estaing! Ce visage fut l’une des premières images numériques à apparaître dans notre paysage et les artistes jouent ici, à la fois avec la vérité et l’image restée latente dans notre mémoire collective. C’est aussi le cas pour ce très beau travail, Corps célestes , où les visages graves de gardes du corps flottent autour de l’extrait de corps du président français François Hollande enfermé dans du verre pare-balles.
Réalisées grâce à un télescope, elles semblent rendre visible l’invisible de l’espace, qui est ici le monde politique. Et puis, il y a ces empreintes, celles d’Antoine Deltour dans un plat réalisé par Villeroy & Boch. Intitulée Les Pieds dans le plat , cette pièce est fondamentalement photographique, inscrivant la trace de celui par qui tout le scandale est arrivé, dans un bleu utilisant le pigment «Vieux Luxembourg». Oui, on peut dire que l’exposition ne manque ni de profondeur ni d’ironie…
La pièce Disruption résume aussi parfaitement le pouvoir de l’image par le citoyen, devenant ainsi contrepouvoir, avec les extraits des photographies de manifestants aux États-Unis, ne laissant entrevoir que les mains tenant leurs panneaux de contestation au nouveau pouvoir installé, celui du plus illustre représentant d’une politique basée sur la glorification par l’image. Sa signature en néon vient souligner ce balai incessant des images le représentant en train de signer un énième décret.
Si ces panneaux de contestation ont dépassé les frontières de leur salle, venant jalonner le parcours ici et là, il y a bel et bien une pièce dans laquelle rien ne passe, la salle où seul Mao trône. Avec cette exposition, Leonora Bisagno et Bruno Blatzer s’inscrivent dans une réflexion fascinante et déroutante autour de l’image, proposant ainsi les premières lignes d’une nouvelle histoire de la photographie.
Mylène Carrière
Centre d’art Nei Liicht – Dudelange. Jusqu’au 9 juin.