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[Expo] «Tektonik» : Titus Schade met le monde en boîte


Titus Schade «croi(t) en la peinture et en la création en deux dimensions». «Je vois cela comme une porte vers un univers parallèle», confie l’artiste. (photo Enrico Meyer)

La peinture menaçante de Titus Schade convoque le théâtre, l’architecture et les modèles miniatures. Une imposante et importante exposition monographique lui est consacrée à la Konschthal.

Premier rendez-vous d’une année 2024 au programme «ambitieux», selon le directeur de la Konschthal Esch, Christian Mosar, l’exposition monographique «Tektonik», dédiée au travail du peintre allemand Titus Schade, est la première de cette envergure à avoir lieu hors de son pays natal.

Au fil des quelque 70 œuvres – des toiles de toutes tailles ainsi que deux installations, réalisées au cours des quinze dernières années –, planent au-dessus des galeries des sentiments parfois contraires d’inconfort, d’abandon, de fascination obsessionnelle ou d’apaisement. Privés de toute présence humaine, sans pour autant que l’artiste en efface les traces, les paysages de Titus Schade n’ont a priori rien d’inhabituel : ce sont des maisons, des rues, des immeubles, des églises, des moulins… Quoi de plus déroutant, finalement, que de prendre le familier pour décor afin d’y installer un inexplicable sens du danger ?

Titus Schade est «un représentant majeur du boom qu’il y a eu dans la peinture allemande contemporaine au tournant des années 1990-2000», expose Christian Mosar. Une ville en particulier est témoin de ce changement : Leipzig, où Titus Schade est né il y a 40 ans. La même ville qui, dans les années 1970, avait sa «nouvelle École» de peintres «qui ont voulu se libérer des dogmes» de la peinture figurative en poussant ses éléments jusqu’à l’abstrait.

Né en 1984, le peintre exposé à la Konschthal pourrait être à lui seul une «nouvelle nouvelle École de Leipzig»; à juste titre, Schade ayant été l’élève du chef de file du courant, Neo Rauch. «Il y a toute une histoire de l’art et de la peinture dans cette ville, qui nous a ramenés à Titus», jure le directeur du musée.

Lui-même est commissaire de cette exposition monographique qui «n’est pas du réalisme ni du surréalisme, mais plutôt une mise en scène étrange qui rappelle le théâtre, l’architecture, l’art des maquettes, le cinéma» et même «le jeu vidéo». Le tout avec une précision et une minutie impressionnantes.

Poursuivre les histoires

C’est la finalité des sens multiples du titre de l’exposition; la tectonique, qui vient du grec ancien pour «l’art de construire», est l’étude des plaques géologiques terrestres et des phénomènes nés de leur dynamique. Chez Titus Schade, cela se traduit par des tableaux «réalisés couche après couche», donnant lieu notamment à des dégradés (de bleu, d’orange, de noir et blanc) sublimes et hypnotiques. Mais aussi, plus figurativement, dans le volcan (qui naît du mouvement des plaques terrestres) que l’on retrouve dans ses œuvres, tantôt grondant au loin, tantôt gigantesque et en fusion au pied d’une habitation abandonnée.

L’un des moteurs dramaturgiques dans le «monde en maquettes» de Titus Schade a d’ailleurs à voir avec le changement d’échelle, y compris entre les nombreux motifs qui reviennent d’un tableau à l’autre, ou auxquels le peintre consacre des séries entières : les maisons à colombages, les moulins, les églises, les usines, mais aussi les volcans, les bûchers, les bougies, les graffitis…

Titus Schade appelle ses œuvres des «mises en scène», mais affirme : «Je ne raconte pas d’histoires avec mes peintures. Je prépare l’idée d’une histoire, et c’est au destinataire d’en tirer son propre récit, à partir de son expérience subjective et avec une interprétation en conséquence.» Et de poursuivre son histoire à lui au-delà de la peinture lorsqu’il expose Der Einschlag (2023), ou la miniature d’une tour postmoderne gigantesque au pied de laquelle se tiennent timidement deux immeubles de taille raisonnable, dans un terrain vague.

La tour est «habituellement installée» dans l’atelier du peintre – il travaille depuis 2012 à la «Spinnerei», un ancien site industriel de Leipzig devenu un quartier d’artistes. À la Konschthal, on regarde les miniatures d’un œil, entre deux tableaux, à travers un trou dans le mur et sous une lumière «expressionniste» qui projette l’ombre de l’édifice en béton loin dans l’obscurité. À une tout autre échelle, Titus Schade a réalisé «en vrai décor de théâtre de onze mètres de large et quatre de haut» le Kiosk qu’il a peint en 2012, sorte de pendant figuratif du Nighthawks d’Edward Hopper.

«Une image dans l’image»

L’artiste aime s’amuser de temps à autre avec des «tableaux vivants», comme ce moulin noir en métal de près de quatre mètres de haut installé sur un énorme tabouret en bois au rez-de-chaussée de la Konschthal. Une variation dans l’échelle et le format pour l’édifice hérité de l’amour du peintre pour la peinture néerlandaise et flamande des XVIe et XVIIe siècles, et qu’il voit comme un «symbole de la société».

Une maquette similaire avait été peinte en série dix ans plus tôt. «Je crois en la peinture et en la création en deux dimensions», martèle Titus Schade. «Je vois cela comme une porte vers un univers parallèle.» Dans son œuvre peinte aussi, il joue avec ce qu’il pratique peu, comme ses Accrochages de Saint-Pétersbourg (2010), sorte de musée dans le tableau, ou ses itérations des carrelages de Delft, qui lui font retrouver le plaisir de l’aquarelle. Les tableaux et l’installation sont aussi les seules pièces de Titus Schade où l’on trouve des visages humains.

Si l’artiste se refuse à interpréter ses tableaux, il glisse qu’une partie de son inspiration puise dans son enfance : «J’ai vécu les six premières années de ma vie en Allemagne de l’Est, donc j’ai surtout vécu après la chute du rideau de fer. À Leipzig, on voyait partout des façades anciennes à côté de « Plattenbauten » (NDLR : des immeubles en béton typiques de l’architecture de la RDA) ou de bâtiments qui avaient été détruits durant la Seconde Guerre mondiale…»

Il y a, dans les paysages menaçants de Titus Schade, une forme d’humour à froid, qui pointe le bout de son nez sur un détail (une étagère brisée qui écrase une église en carton-pâte, ou la signature même de l’artiste, parfois peinte en graffiti sur ses bâtiments). «Un tableau est une image dans l’image; c’est avec cette idée en tête que je conçois une peinture», affirme celui qui commence toujours sa toile par le même geste : «La première chose que je peins, c’est le cadre. Cette délimitation, j’en ai besoin pour avoir la liberté de peindre et créer ce que je veux.»

Jusqu’au 1er septembre. Konschthal – Esch-sur-Alzette.

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