Accueil | Culture | [Expo] Cristina Lucas se penche sur le capitalisme au Mudam

[Expo] Cristina Lucas se penche sur le capitalisme au Mudam


Occupant l'ensemble du niveau inférieur du musée, «TradingTranscendence» s'articule autourde la notion de globalisation moderne.

L’artiste espagnole Cristina Lucas s’intéresse, dans son travail, aux mécanismes du pouvoir. Pour le Mudam, elle s’est penchée, après de méticuleuses recherches, sur l’influence du capitalisme dans notre rapport au monde.

Occupant l’ensemble du niveau inférieur du musée, «TradingTranscendence» s’articule autour de la notion de globalisation moderne. Quatre travaux réalisés spécialement pour l’occasion témoignent de la singularité d’une artiste qui cherche à révéler la réalité économique et son impact sur nos vies, sans prendre position. Une exposition présenté par Enrico Lunghi, directeur du Mudam,à peine remis d’une drôle de semaine.

Vendredi, en arrivant au Mudam, tout le monde se demandait s’il allait être là. Qui? Enrico Lunghi, évidemment, mis au repos forcé avant d’être confirmé, jeudi, dans ses fonctions par son conseil d’administration, après une étrange affaire, montée en épingle, l’opposant à une consœur journaliste qu’il aurait, soi-disant, agressée.

Après des excuses et une plainte retirée par RTL, le directeur n’a pas fait faux bond et honorait le rendez-vous fixé autour de l’exposition de Cristina Lucas, décidé, lui et son équipe, à passer à autre chose après une semaine éprouvante. Les mines fatiguées en témoignaient.

Rien de tel, finalement, après de sérieuses complications médiatico-politiques, d’en remettre une couche sur un système franchement pervers, avec cette Espagnole qui jette un regard aiguisé sur le capitalisme et ses effets sur nos comportements. « Ça nous touche tous! », dit-elle. Pas de propagande, toutefois, chez cette artiste, même si son berceau ibérique a pris de plein fouet les effets néfastes du libéralisme à tout crin.

«Marx s’est planté  : le capitalisme n’est pas mort»

Non, pour Cristina Lucas, 43  ans, l’art ne doit « pas prendre position », mais « offrir des solutions alternatives ». D’éclairer à défaut d’agir, « pour mieux saisir ce qui nous entoure». D’où un travail qui s’appuie sur de méticuleuses recherches historiques ou scientifiques. Compiler, analyser, classer, créer  : voilà comment pourrait s’articuler sa démarche, pour mieux interroger l’influence du capitalisme dans nos rapports au monde, dans un vraisemblable dessein futur, celui de « mieux le contrôler ».

Car « on ne peut stopper le capitalisme, juste le maîtriser en lui imposant certaines règles » – d’où le choix, aussi, d’intituler l’exposition «Trading Transcendence», qui induit l’idée d’une force supérieure qui nous dépasse. Oui, c’est un fait, la plus-value, notion fondamentale du libéralisme, «est un gros problème! », précise-t-elle, avant d’assener, catégorique : « Marx s’est planté  : le capitalisme n’est pas mort. Il est même bien plus fort aujourd’hui qu’il ne l’a déjà été jusqu’alors. » Cristina Lucas a donc décidé de mettre en relief, de visualiser ces rapports de force, de pouvoir, insidieux.

Cristina Lucas, Philosophical Capitalism, 2014 © Photo : Cristina Lucas

Cristina Lucas, Philosophical Capitalism, 2014 © Photo : Cristina Lucas

Dans une salle ouverte, tout en longueur, où dix écrans se regardent, elle s’intéresse à l’interprétation faite par des acteurs de divers secteurs économiques, de notions philosophiques relatives à leur profession. L’installation Philosophical Capitalism (2014-2016) est simple dans son essence –  demander à un horloger ce que lui évoque le concept de temps, ou à un chirurgien esthétique confronté à l’idée de beauté  – mais les réponses le sont moins.

En effet, les personnes interrogées restent très pragmatiques et, éludant les questions existentielles, préfèrent répondre dans une exigence de rentabilité, ou du moins, dans l’idée d’une nécessaire efficience. Ajoutez à cela d’imposants logos de leurs entreprises à côté de leurs visages souriants et l’effet est saisissant.

Pour cette exposition, Cristina Lucas a complété cette œuvre, commencée en Espagne, par cinq entretiens avec des acteurs du Luxembourg  : un architecte (Georges Reuter-Meertens), un journaliste (Jean-Lou Siweck), un juriste (Marc Elvinger), un horloger (Robert Goeres) et un homme politique (David Wagner), questionnés respectivement sur l’espace, la vérité, la justice, le temps et la citoyenneté.

La suite est tout aussi intéressante, notamment avec Elemental Order , imposant monolyte lumineux sur lequel sont inscrits, en temps réel, la cotation en Bourse de chaque élément chimique – ceux répertoriés par le Russe Dmitri Mendeleïev en 1869 – disponible sur les marchés financiers, notamment celui, important, des métaux de Londres.

« Mon but est de montrer que le capitalisme attribue une valeur marchande à toute chose. » Ici, la réalité scientifique est ainsi supplantée par celle économique, articulée autour du rapport de l’offre et de la demande. Les traders sont donc conviés à prendre leur calculatrice et à venir au Mudam pour spéculer, quoiqu’avec certains «produits», la tâche peut s’avérer assez périlleuse. Cristina Lucas  : « Dans nos recherches, mon assistant s’est fait « blacklister » en raison de son insistance autour du plutonium! »

Le tic-tac de 360 horloges

En outre, l’importance de la symbolique des couleurs des logos dans la construction d’une identité visuelle –  d’entreprises et d’institutions – est aussi à l’étude avec Monochromes . Un ensemble de dix œuvres à travers lesquelles l’artiste revient à l’un des fondamentaux de l’art  : la question de la couleur et de sa perception par le spectateur. Du rouge «énergique» au vert «apaisant», celles-ci, en langage marketing, ont alors un but bien précis  : celui de convaincre le consommateur de l’image véhiculée.

Un constat que se réapprorie Cristina Lucas avec cet enchevêtrement de logos (entre 600 et 1  000 par monochrome), dénonçant l’omniprésence des enjeux commerciaux et réclamant un retour à une « pure » perception des couleurs. Enfin, dans une large pièce blanche, «semblable au paradis » osera quelqu’un dans l’assistance, l’artiste invite à une expérience sensorielle, celle de la perception simultanée du tic-tac de 360  horloges. Dans Clockwise , elle souligne ainsi la rationalisation d’un concept tel que le temps, pour en faire un instrument de mesure indispensable au bon fonctionnement d’un système globalisé.

L’histoire en témoigne, comme au XVIII e siècle, à l’époque de l’exploitation des routes maritimes, où la précision des horloges a permis de maîtriser la notion de longitude, d’aller plus vite que d’autres et « construire ainsi des empires! », souligne le commissaire Clément Minighetti. Idem au siècle suivant, avec le développement du réseau ferroviaire.

«Aujourd’hui, ça se calcule en nanoseconde , poursuit-il. Plus vous êtes précis, plus vous arrivez à l’unité d’un système. » Car derrière cette installation, qui rappelle l’univers de Kubrick, gronde en sourdine un système carnassier dont il est difficile de se dépêtrer. Souvent, la réalité est bien plus rude que l’illusion.

Grégory Cimatti

Exposition «TradingTranscendence» (Cristina Lucas). Mudam – Luxembourg. Jusqu’au 14 mai 2017. Plus d’infos sur le site du Mudam.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.