C’est à huit mains que le collectif Autour du bleu a composé une grande exposition, «Mother», dans les deux galeries de Dudelange. Le quatuor livre une vision sensible de la figure de la mère.
Filles et mères, Gudrun Bechet, Pina Delvaux, Flora Mar et Doris Sander proposent une exposition touchante autour de la relation fragile et forte à la fois entre une mère et son enfant, source des plus grands bonheurs comme des névroses les plus profondes.
Depuis près de quinze ans, les quatre artistes luxembourgeoises Gudrun Bechet, Pina Delvaux, Flora Mar et Doris Sander ont choisi de se constituer en collectif, le seul et unique du genre au Grand-Duché. C’est au détour de leurs conversations et leurs préoccupations du moment qu’elles trouvent les sujets et thèmes qu’elles vont explorer ensuite ensemble et individuellement pour composer leurs expositions.
«Pour cette exposition, le thème de la mère était une évidence. C’était quelque chose qui revenait souvent dans nos discussions. On a donc naturellement décidé d’arrêter d’en parler pour se lancer dans un projet de création», explique Pina Delvaux. Il aura fallu pas moins de quatre ans à ces artistes pour en venir à bout de la question, ou plutôt, pour réaliser leurs travaux, profondément intimes, spécifiquement pour cette exposition.
L’idée d’aborder une question aussi personnelle et universelle à la fois présage un travail en soi déjà complexe, mais le faire à plusieurs voix semble un pari risqué. Thématique récurrente de l’histoire de l’art ou plutôt de l’histoire des arts, tant elle se retrouve partout, depuis la nuit des temps, c’est avec distance, violence, douceur et toujours beaucoup de poésie que le collectif nous entraîne dans ce voyage.
Dans l’intimité de la mère à l’enfant
Au commencement, il y a une citation de Freud : «My strength has its roots in my relation to my mother» (ma force s’enracine dans ma relation à ma mère). Elle invite à découvrir la réplique exacte de la chaise qu’il avait dans son cabinet, dont la forme nous fait sourire tant elle évoque les bras de la mère invitant au câlin et au réconfort. «C’est au Freud Museum à Londres que j’ai découvert cette chaise, elle m’est apparue comme une évidence pour notre projet, comme point de départ», raconte Doris Sander.
Les fascinantes boîtes de Pina Delvaux, tel un fil rouge dans l’exposition, conduisent le spectateur. Elles sont accompagnées d’une voix, changeante à chaque univers, qui raconte une histoire autour de la mère. «C’est un travail que j’ai commencé il y a très longtemps. Je me baladais avec un carnet et je demandais aux gens de me raconter quelque chose sur leur mère. C’est de ce travail que j’ai extrait les textes qui sont ensuite lus par une autre personne, permettant ainsi de garder l’anonymat de la source», raconte l’artiste. Ce travail est aussi le point de départ de tout le projet qui donne lieu à la sublime pièce maîtresse de l’exposition, «Archiv».
Plongé dans le noir, le spectateur découvre des tables de chevet dont les tiroirs sont ouverts, éclairés par la simple lumière d’une lampe de poche. Dans ceux-ci, on découvre des bouts de papiers sur lesquels des anonymes ont exprimé ce que la mère évoque pour eux. Ces témoignages silencieux – seuls le sexe et l’âge de la personne sont indiqués – sont particulièrement touchants par leur sincérité. Touchants, aimants mais aussi violents parfois en ce qu’ils renvoient à l’expérience personnelle du regardeur, qui s’interroge sur ce qu’il aurait pu dire à leur place. D’ailleurs, un carnet est laissé là pour ceux qui souhaiteraient continuer ce recueil de témoignages.
Chacune des artistes exprime sa propre vision et ses sentiments sur le lien universel qui unit une mère et son enfant. Flora Mar propose ainsi une installation très touchante sur les influences de l’éducation sur notre identité, Gudrun Bechet a réalisé des photographies sur l’influence de l’éternelle projection de ce que nous sommes sur nos enfants et, enfin, les peintures de Doris Sander expriment avec douceur la difficulté et la sensualité de la mère. Bien plus qu’une simple exposition, «Mother» propose de vivre une expérience tout en retenue et en poésie. Elle interroge, nous bouscule un peu, avec toute la douceur d’une mère.
Mylène Carrière
>> Centres d’art Nei Liicht et Dominique Lang – Dudelange. Jusqu’au 14 juin.