Surnommé «le Groucho Marx du Mur des Lamentations», Etgar Keret est de retour. D’abord avec Incident au fond de la galaxie, pétillant recueil de nouvelles. Puis avec L’Agent immobilier, une mini-série télé réalisée avec sa femme Shira Geffen pour ARTE. On ne boude pas son plaisir !
Il y eut, voilà quelques années, une confidence pour aveu : «Nés Polonais, rescapés de la Shoah, mes parents m’ont transmis le sentiment que rien n’est jamais acquis, que l’endroit où je vis peut se transformer complètement à la nuit tombée. Déjà, enfant, je sentais que l’univers regorgeait d’innombrables façons de me surprendre et, pour y être mieux préparé que mes parents, j’imaginais sans cesse ce qui pouvait advenir. Cet entraînement apparemment vain, mais quelque part salutaire, a marqué mes premiers pas dans la fiction et je pense qu’il se ressent encore aujourd’hui dans mes histoires.»
Et de rappeler qu’il est né à Tel-Aviv en 1967. Écrivain – et aussi cinéaste (Caméra d’or au Festival de Cannes en 2007 pour Les Méduses ou encore coréalisateur de la série télévisée L’Agent immobilier) –, Etgar Keret s’est glissé à nouveau dans le monde des livres avec un enthousiasmant recueil de nouvelles titré Incident au fond de la galaxie. Soit vingt-deux histoires, un délice offert par cet écrivain surnommé «le Groucho Marx du Mur des Lamentations» ou encore «le Buster Keaton de la Knesset»!
En 2014, avec «Sept années de bonheur» – texte pétillant en forme d’autobiographie (réelle ou fictionnée?) –, habitant dans une région en guerre depuis des lustres, Etgar Keret assure qu’entre deux alertes à la bombe, on peut goûter la vie qui continue sous l’orage et le rire qui se révèle arme contre les armes. Avec cet écrivain, c’est encore et encore «vive la catastrophe» !
Une thématique qu’il reprend dans Incident au fond de la galaxie – ouvrage qui agit comme une thérapie contre, entre autres, l’inquiétude. Vingt-deux nouvelles qui font d’Etgar Keret l’un des meilleurs auteurs de micro-fictions du moment… En ouverture, on se retrouve dans un cirque, c’est «L’avant-dernière fois qu’on m’a tiré d’un canon». Voici donc un employé préposé au nettoyage des cages des animaux, il a accepté de remplacer un soir l’homme-canon et d’être ainsi envoyé dans le ciel comme un boulet.
Humour, poésie, désespoir…
On lit : «L’avant-dernière fois qu’on m’a tiré d’un canon c’est quand Odélia m’a quitté avec le petit. À l’époque, je nettoyais les cages d’un cirque roumain qui venait d’arriver en ville. Les cages des lions, je les ai finies en une demi-heure, celle des ours aussi, mais les éléphants c’était un vrai cauchemar. J’avais mal au dos et le monde entier sentait la merde. Ma vie était un désastre et l’odeur de merde lui allait bien. J’ai fini par sentir qu’il me fallait une pause. Je me suis trouvé un coin hors de la cage et me suis roulé une cigarette. Je n’ai même pas pris la peine de me laver les mains…» Évidemment, il n’a plus qu’une seule envie : repartir encore et encore au ciel.
Tout Etgar Keret est dans cette première nouvelle du recueil, tout en humour, poésie et désespoir. Ce qu’on retrouve dans Ne fais pas ça avec ce père qui se promène avec son petit garçon : un homme se jette du toit d’un immeuble, le père tente de l’en empêcher, le petit garçon est persuadé que l’homme désespéré est un de ces superhéros sortis tout droit d’un comics…
Humour, poésie et désespoir qu’on retrouve aussi dans « Bon anniversaire tous les jours ». Ouverture : «Il était une fois un homme riche. Très riche. Certains diraient trop riche. Il y a longtemps, il inventa quelque chose ou déroba une invention à quelqu’un. C’était il y a si longtemps que lui-même ne s’en souvenait pas. Cette invention fut vendue à un prix exorbitant à une énorme multinationale. Et l’homme investit dans des terrains et de l’eau tout l’argent qu’il avait reçu…»
Il joue avec les clowns et les clones
Sur les terrains, il fait construire des maisonnettes, il les vend «à des gens qui rêvaient de murs et d’un toit». Il met l’eau en bouteille, la vend «à ceux qui avaient soif. Après avoir fini de tout vendre à des prix excessifs, il se retira dans son immense et belle maison en se demandant ce qu’il ferait de tout cet argent… ».
Au hasard d’autres microfictions, on va rencontrer un jeune pensionnaire d’un orphelinat pour le moins étrange qui va apprendre qu’il est un clone d’Adolf Hitler créé pour venger les victimes de la Shoah; un accidenté de la route qui perd la mémoire, qui se retrouve dans une pièce virtuelle avec une femme virtuelle (à moins que ce ne soit l’inverse, glisse l’auteur!)…
Héritier de Kafka et Marx (Groucho, pas l’autre !), cousin de Salman Rushdie ou Kurt Vonnegut, Etgar Keret joue avec les clowns et les clones, le virtuel et le fantastique. Ce qui, par une pirouette technico-littéraire, l’a amené à glisser entre quelques-unes des nouvelles un échange par mails entre Michael Warshawski et Sefi Moreh – Michael propose à Sefi de venir avec sa mère dans l’escape room qu’il dirige. Problème : ladite pièce sera fermée à la date retenue, «à cause du jour de la Shoah», férié en Israël. Michaël précise qu’évidemment, cette date et sa signification, il les connaît. Mieux, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il les a retenues : «La recherche d’une activité digne de ce jour terrible et triste». Et c’est ainsi que, malgré (ou grâce à) un «incident au fond de la galaxie», Etgar Keret est grand !
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan
Incident au fond de la galaxie, d’Etgar Keret. Éditions de l’Olivier.