À l’aise dans tous les styles, le batteur français Manu Katché a joué avec les plus grands, du rock au jazz. Jeudi soir, il était à la Philharmonie, en mode quintette, avec le violoniste Didier Lockwood en invité. Rencontre.
Vous avez brassé de nombreuses influences et vous vous êtes adapté à tous les styles. D’où vous vient ce côté « touche-à-tout » ?
Manu Katché : Je ne sais pas si je suis « touche-à-tout », mais c’est vrai que j’ai une certaine forme d’adaptabilité musicale. Ça tient sûrement à plusieurs choses : ma formation classique au Conservatoire, suivie de la pratique de la batterie et mon ouverture sur la soul, le rhythm’n’blues et le funk, à la fin des années 70. Après, ça a été le rock avec des nombreux artistes internationaux, sans oublier l’influence des gênes, l’Afrique (NDLR : la Côte d’Ivoire) du côté de mon père, et ma culture française. Tout ce mélange enrichit et permet justement de jouer avec des musiciens venant de différents horizons.
Et ce, donc, sans forcer et en restant honnête avec soi-même…
La musique réside principalement dans son évolution interne, à savoir la recherche de sa personnalité par rapport à des cultures musicales diverses. En grandissant, ou plutôt en vieillissant (rire), on garde le meilleur de toutes ces expériences, on évolue avec et on peut ainsi aborder des styles que tout oppose. Après, bien sûr, derrière cette philosophie, il y a la question centrale du choix, en fonction de son jeu et ses sensibilités. Je ne vais pas jouer du metal, car ça ne m’inspire pas, c’est tout. Il faut savoir rester dans le vrai.
Dans vos très nombreuses collaborations, il y a aussi un aspect essentiel : celui du plaisir partagé…
C’est la base même, selon moi. S’il n’y a pas le plaisir de partager, avec les musiciens comme le public, autant passer à autre chose ! Un constat d’autant plus vrai avec la difficile situation actuelle de l’industrie musicale, qui conduit à devoir multiplier les concerts. Si sur scène, on reste juste dans la démonstration, l’exercice de style, c’est triste… Non, avec les spectateurs, on doit échanger des vibrations positives. On doit tous être contents d’être ensemble, comme lors d’un dîner de famille où l’on revoit les cousins, tantes et oncles…
Y a-t-il toutefois, dans ce brassage énorme, un « son » Katché, quelque chose, disons, de plus mélodique ?
Ça tient encore à ma formation au piano et aux percussions. Comme c’étaient mes premières armes, j’ai conservé ça dans mon jeu, où je me sers plus des toms, des splashes (petites cymbales), tout en gardant une batterie acoustique classique… J’aime dire que je suis un coloriste, à l’instar de Paul Motian ou Brian Blade. J’aime groover, c’est certain, mais tout en apportant des touches mélodiques et harmoniques.
On vous reconnaît des qualités de pédagogue. Quels conseils donneriez-vous à un batteur ?
Il faut surtout se faire confiance et être persévérant dans ce que l’on pense être juste quand on joue. Au-delà des rudiments à connaître, bien sûr, et du travail permanent de l’instrument, il faut défendre sa personnalité. On doit jouer comme on est, sans trop copier les autres et sans trop écouter ceux qui vous disent : « Joue plutôt ça comme ça ! ». Police, par exemple, n’aurait jamais été Police sans Stewart Copeland. Il avait un jeu particulier et il est reconnaissable entre mille. Un John Bonham, de Led Zeppelin, c’est pareil. Le style, on l’a à l’intérieur de soi.
Depuis plusieurs années, vous vous être imposé comme un compositeur. En tant que batteur, homme de l’ombre par excellence, est-il difficile de s’imposer en tant que « chef d’orchestre » ?
Pas du tout. D’abord, j’étais ravi de travailler avec Peter Gabriel, Sting et d’autres – d’ailleurs ça continue encore – et je n’avais aucune envie de me mettre en lumière, de dire : « C’est moi le leader, c’est ma musique ! ». Non, j’ai simplement pris du temps, en attendant d’accumuler suffisamment d’expérience, pour commencer à composer. Il y a eu juste, un moment, où je me suis dit qu’il fallait prendre des risques, où c’était l’ennui assuré… Je me suis donc tourné vers le jazz – un style que j’ai connu jeune, même si je n’étais pas très bon (rire). Ce qui me plaît, dans cette musique, c’est que l’on n’est pas tenu par un format précis, laissant libre cours à l’improvisation. C’est un moyen d’expression que j’aime, car il laisse libre cours à tout ce que j’ai pu recenser et expérimenter jusqu’à aujourd’hui. Mais, encore une fois, cette orientation n’est pas née d’une réaction épidermique, du genre « j’en ai marre d’être au fond » ou « j’ai envie que l’on parle de moi ». Mon objectif tenait à une question : comment encore évoluer avec mon instrument ? Un simple volonté d’avancer.
Le jazz, justement, reste-t-il l’expression la plus libre pour un batteur… et un musicien ?
Le jazz, aujourd’hui, ne porte pas bien son nom : le terme est cliché car il renvoie à la musique à papa des années 50. Le jazz devrait s’appeler le rock, car c’est une musique extrêmement évolutive, progressive, actuelle, avec de vraies influences, des mélanges étonnants et de nombreuses écritures différentes. Ça s’est vu depuis la chute du Mur de Berlin et l’apparition de ces virtuoses de l’Est, dont l’expression de la liberté est celle que l’on entend aujourd’hui. Et les musiciens de jazz sont très jeunes, sinon, on en serait encore au bebop… En Europe, en tout cas, le jazz a gagné ses lettres de noblesse, et on n’a pas fini d’en écouter. Je trouve, personnellement, que le rock a perdu en originalité et en efficacité.
Ceux qui vous accompagnent à la Philharmonie sont une belle illustration de ce renouveau…
Oui. C’est un jeune quintette avec qui on a joué une dizaine de dates. Il y a même cette jeune contrebassiste (NDLR : Ellen Andrea Wang). Avec la batterie, ce sont deux instruments « catalogués » masculins, avec le tee-shirt coupé et les gros bras, alors qu’ils peuvent être mélodiques. J’ai voulu un côté féminin qui entoure bien la manière dont je joue. Tous ensemble, on va, avec le temps, trouver une manière de jouer et un son caractéristique. Surtout qu’une femme change la couleur et la direction d’un groupe. Ça va faire avancer mes choses dans la bonne direction.
Avec un album au bout ?
Il sortira en février, s’appellera Unstatic et aura une orientation différente que mes quatre précédents albums. Dans le jeu, il sera un peu plus « seventies » et soul. Je dois revenir inconsciemment à tous ces trucs que j’écoutais adolescent.
C’est aussi pour cela que l’on retrouve, à Luxembourg, Didier Lockwood au violon ?
(Il rigole) On y est complètement ! Et Didier, ça fait un bail qu’on se connaît. On jouait ensemble dans la baraque qu’il avait avec son frère à l’ouest de Paris, et avec d’autres musiciens, on y passait la journée entière. C’est marrant de se retrouver sur scène, en étant toujours dans la même passion qu’à l’époque, un peu comme deux potes de lycée qui se retrouve au bout de 35 ans, et qui font le même métier. Dans un sens, c’est rassurant, car la musique, c’est la foi, c’est l’envie. Sans ça, c’est foutu !
Entretien avec Grégory Cimatti