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[Entretien] Emmanuel Moire, plus libre que jamais


"Je suis quelqu’un à qui on donne la parole et c’est pour moi une certaine forme d’engagement, plus que de combat d’ailleurs", relève Emmanuel Moire. (©Droits réservés)

Emmanuel Moire est de retour avec un cinquième album, « Odyssée ». Rencontre sans filtre avec un artiste épanoui et serein.

Alors que le titre La Promesse rencontre un beau succès, celui que le public avait découvert dans « Le Roi Soleil » continue d’écrire son histoire, tout en maîtrisant son temps et ses choix. Le chanteur nous a confié l’histoire de ce projet mais aussi son regard sur son parcours et son métier.

Vous êtes de retour avec ce disque « Odyssée ». Pourquoi ce titre ?

Emmanuel Moire : Au départ, j’ai toujours besoin d’avoir un propos global, comme si j’allais écrire un chapitre important. Pour cet album, j’avais cette thématique du voyage initiatique du héros. Odyssée est cette histoire remplie de péripéties. J’ai toujours été fasciné par l’idée d’avoir des choses folles à réaliser, d’avoir un grand destin (il rit). Je fais partie des gens qui cherchent depuis très longtemps, qui sont en quête et je le serai jusqu’à la fin de ma vie.

Vous avez écrit 12 des 13 titres. Est-ce là aussi une façon de mieux maîtriser le voyage ?

Le fait d’avoir récupéré mon écriture m’a demandé un travail différent, et notamment celui de préciser ma pensée. L’écriture est thérapeutique. Ce n’était pas simple au départ car cela m’allait très bien de me cacher derrière les textes d’un autre pendant quelques années. Aujourd’hui, c’est pour moi inconcevable de prendre la parole sans le faire avec mes mots.

Avez-vous eu des doutes ?

Je me suis posé beaucoup de questions sur ma capacité à poser les mots sur ce que je pense. J’ai eu besoin de prendre confiance. La première année a été un combat et plusieurs choses ont fait que je me suis détendu. C’est ensuite devenu un vrai plaisir. J’ai même envie d’écrire d’autres choses que des chansons.

Entre vos albums et les spectacles, vous avez toujours semblé libre de votre rythme. Comment gérez-vous ce rapport au temps ?

Le temps est pour moi une donnée mais rien de plus. En tant que créateur de mon travail, c’est difficile de le faire avec une ‘deadline’. Je me suis relativement libre car pour moi, écrire des chansons est avoir des choses à raconter. Il faut prendre le temps nécessaire de le faire. Le problème parfois est que nous sommes dans une époque particulière où c’est un flux permanent de chansons, rarement d’albums. C’est difficile d’exister alors que cela va très vite dans ce milieu. J’essaie de dissocier ma créativité de ces données qui sont mouvantes et surtout, je tiens à ma liberté. Je la préserve même.

Quand on réécoute votre premier disque paru en 2006, on sent un décalage avec celui que vous êtes réellement. Comment l’assumez-vous maintenant ?

Je sortais du « Roi Soleil » et je ne l’ai pas vraiment contrôlé ce disque. Je lui garde cependant un regard bienveillant car c’est parce qu’il a existé que j’ai pu m’affirmer pour les suivants. Quand j’ai fini la promo et la tournée de ce disque, je savais ne plus vouloir refaire un projet comme-celui-ci. J’avais eu l’impression de cacher des choses. C’est trop difficile à assumer quand ce n’est pas vraiment en accord avec soi-même.

Sur votre troisième album « Le Chemin », on vous sentait tel que vous êtes, plus dans l’intime et ce disque a été un succès. Comment l’avez-vous vécu ?

Je bénis ces moments où toutes les planètes sont au rendez-vous. C’est aussi tout le travail en amont qui fait que cela arrive. J’accepte ainsi les moments où c’est plus dans l’ombre. Je relativise donc ceux-là car il y a toujours quelque chose qui arrive ensuite. Le disque suivant La Rencontre a bien fonctionné mais l’accueil était plus réservé. Je suis assez exigeant comme garçon mais je suis en phase avec ça. Il y a du mouvement dans ce métier et toutes les histoires sont différentes. Je ne dis pas que c’est simple mais je l’accepte.

Dans l’ensemble de vos albums, on retrouve de la variété et parfois, des sonorités électro. Êtes-vous parfois tiraillé entre les deux ?

J’aime les deux, sans tomber ni dans l’un, ni dans l’autre. On ne peut pas comparer les disques car chacun est l’empreinte d’une période mais le deuxième, L’équilibre, était plus dans l’électro tout en restant des chansons. La rencontre était romantique, avec des chansons plus traditionnelles. J’essaie aujourd’hui de moins me poser la question. J’ai d’ailleurs envie de faire un album encore différemment et de m’éloigner du format classique des chansons.

Comment est né ce texte « Des mots à offrir » écrit par Jean-Jacques Goldman ?

On s’est rencontré sur « Les Enfoirés » et j’ai eu de superbes échanges avec lui. Nous sommes restés en contact par mail et quand j’ai commencé à travailler sur ce disque, j’ai eu peur de ne pas pouvoir l’écrire tout seul. J’ai sollicité quelques auteurs dont Jean-Jacques. Il m’a glissé que si j’avais une mélodie et que je ne trouvais pas de mots, je pouvais lui envoyer. Je suis resté bloqué sur cette phrase (il rit). Je lui ai ainsi envoyé cette mélodie et quelques mois après, il m’a offert ce texte. Il arrive toujours à poser les bons mots au bon endroit. C’est d’autant plus émouvant qu’il a toujours été une référence pour moi.

On retrouve aussi souvent la question de la famille dans vos disques, comme ici dans « La femme au milieu ». Quelle est son histoire ?

Comme je me pose beaucoup de questions, l’étape d’aller gratter dans sa propre famille est toujours une évidence. On est toujours le fruit de cette histoire. On doit parfois en porter les conséquences, mais la cause reste la famille. J’ai perdu ma grand-mère il y a deux-trois ans et je n’avais pas envie de faire une énième chanson sur la perte. Je voulais juste faire d’elle un portrait lumineux, un peu comme un travail de photographe, rendre les choses indélébiles. Les grands-parents ont toujours une place particulière. C’est l’un des premiers textes que j’ai écrits et il m’a rassuré aussi. Cela m’a montré que je pouvais le faire et que cela pouvait être touchant.

Comment vivez-vous le succès de « La promesse » ?

Je le vis bien, surtout que ce n’était pas une chanson évidente au départ. Je faisais ce disque sur ce voyage initiatique, cette rencontre vers soi et je me suis dit ne pas pouvoir faire l’impasse sur ce sujet-là. Cette question de l’orientation sexuelle a dirigé ma vie pendant longtemps. Ce texte est venu très spontanément en fait, je n’ai pas réfléchi et je suis très fier de cette chanson.

Aviez-vous réfléchi à l’impact qu’elle pouvait avoir ?

Quand on a décidé de lancer ce titre, je me suis demandé où en sont les gens avec la question de l’homosexualité. J’avais même de l’appréhension et j’avais peur de recevoir des choses assez négatives. En fait, je n’en ai pas lu une seule et je suis très content de cela car je me sens responsable. Je suis quelqu’un à qui on donne la parole et c’est pour moi une certaine forme d’engagement, plus que de combat d’ailleurs. Je le fais avec une chanson et un propos qui ne sont pas ‘mainstream’, donc c’est d’autant plus satisfaisant. C’est parfois plus compliqué sur d’autres thématiques alors que l’on pourrait penser l’inverse.

Vous avez défendu ce titre à « Destination Eurovision ». Pourquoi avez-vous accepté d’y participer ?

Le comité d’écoute m’a approché quand ils ont entendu cette chanson. Ils avaient très envie qu’elle fasse partie des titres en lice pour ce concours. Au début, j’étais un peu réfractaire car j’avais mon ego d’artiste et toutes ces choses un peu ennuyeuses… Puis j’ai mis ça de côté, ils sont revenus vers moi pour que je porte ce message avec cette chanson et je me suis dit qu’ils avaient raison. C’est un concours de chansons et si cela permet de faire connaître un titre, d’élargir son public, je me suis dit que cela avait un sens.

Quel regard portez-vous désormais sur cette émission ?

Je ne fonctionne vraiment pas en termes de notoriété, mais repartir comme ça dans un concours a bien ménagé mon égo (il rit). C’était à la fois gratifiant et déstabilisant. J’aime cette audace et ce sens du challenge. J’ai une philosophie de vie qui me rassure à chaque fois en me disant que les choses sont là telles qu’elles doivent être. Ce n’était pas mon rendez-vous avec cette chanson mais plus celui de Bilal (Hassani).

Que pensez-vous des commentaires ignobles à son encontre sur les réseaux sociaux ?

Même si cela ne me concerne pas directement, je trouve toujours cela douloureux de se dire qu’en 2019, on est encore confronté à ce genre de violence. Après je me méfie des réseaux sociaux car c’est une place où se tiennent des propos, qui n’auraient pas lieu dans la vie réelle. Je ne veux pas minimiser la violence homophobe qui existe dans la vie quotidienne mais c’est exacerbé sur les réseaux sociaux. On est dans une époque où quand elle est bousculée, elle fait ressortir ce qu’il y a de plus mauvais chez les gens. En général, ce sont les minorités qui le paient et des personnes comme Bilal peuvent faire avancer ces problématiques. Je le soutiens vraiment.

Quel est votre état d’esprit actuellement ?

En ce moment, je me sens très aligné et j’ai le sentiment d’être utile. Je fais les choses sereinement et il n’y a rien de mieux. L’expérience et l’âge aussi certainement m’apaisent et me font faire mon métier de façon plus détendue. L’écriture m’a également beaucoup aidé. Je sais pourquoi j’ai écrit La promesse par exemple. Il n’y a pas de piège pour moi. J’assume tout.

Que prévoyez-vous pour la tournée ?

C’est un album épique et j’ai envie que la scène soit à cette image. Je veux m’amuser avec cette thématique et revisiter d’anciens titres. Sur chaque disque, il y a une ouverture, sur celui-ci, c’est Le grand saut et on sent un côté presque cinématographique. C’est encore précoce mais j’ai envie que la tournée aille vers cela. Il n’y a rien de plus concret que la scène. C’est vraiment le moment d’interaction et de partage avec le public.

Vous vous êtes régulièrement produit chez nos amis lorrains mais jamais au Luxembourg. Peut-on compter sur vous pour cette nouvelle tournée ?

C’est vrai que je ne suis pas encore passé chez vous. Je ne suis pas le seul décisionnaire sur une tournée et il y a beaucoup de paramètres qui rentrent en jeu dans la programmation des salles. Je vais me renseigner pour rattraper cela (il rit). Sincèrement, ce serait bien sûr un plaisir de venir jouer au Luxembourg.

Entretien avec Nikolas Lenoir