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En Égypte, l’inventivité des peintres antiques révélée au grand jour


D'autres façons de voir l'art ! (photo AFP)

L’art pharaonique, jugé conventionnel selon l’égyptologie, peut être vue désormais sous un œil nouveau, grâce à la découverte de retouches jusqu’ici invisibles sur des peintures antiques, prouvant l’inventivité des artistes.

Sur le portrait de Ramsès II, la position du sceptre avait été subtilement modifiée, il y a plus de 3 000 ans : l’imagerie scientifique a révélé des retouches artistiques jusqu’ici invisibles sur des œuvres de l’Égypte antique, signe que les peintres de l’époque savaient s’affranchir des règles de l’art. Depuis le XIXe siècle, l’étude de l’art pharaonique considère celui-ci comme répondant à des codes stéréotypés contraignants, rappelle une étude parue à la mi-juillet dans PLOS One, la revue américaine de la Public Library of Science. Les artisans peintres qui œuvraient dans les chapelles funéraires «n’échappent pas à ces préjugés» selon lesquels ils se seraient contentés de transférer sur les parois des murs des motifs prédéfinis, relèvent les auteurs.

Mais en explorant les peintures des tombes de la vallée des Rois, les scientifiques ont découvert des traces d’une inventivité jusqu’ici insoupçonnée. Notamment dans le tombeau du prêtre Nakhtamon, orné d’une représentation de Ramsès II peinte vers 1 200 ans avant notre ère. Le célèbre pharaon y est dépeint de profil, portant coiffe et collier, muni d’un sceptre royal. Derrière l’image visible se cache une tout autre composition, révélée par de nouvelles techniques d’imagerie et d’analyse chimique portatives, qui permettent d’étudier les œuvres sur place, sans les détériorer.

On ne s’attendait pas à voir de telles modifications sur une représentation de pharaon censée être très formelle

Les outils sont disposés sur un petit robot se déplaçant le long des parois peintes. Grâce à sa vision à différentes longueurs d’onde lumineuses (rayons X, ultraviolets, infrarouge…), le robot peut «scruter la matière» en profondeur, tel un scanner médical, explique Philippe Walter, chercheur au Centre national français de la recherche scientifique (CNRS) et coauteur de l’étude. Au bout de quelques instants seulement sont apparus des traits totalement invisibles à l’œil nu : un collier et une coiffe sous-jacents qui «n’ont pas la forme de ceux qu’on voit aujourd’hui», décrit le chimiste spécialisé dans l’étude des matériaux du patrimoine culturel.

La position du spectre royal avait également été retouchée, pour suivre un nouveau tracé des épaules de Ramsès II, beaucoup plus bas que dans la première version. «On ne s’attendait pas à voir de telles modifications sur une représentation de pharaon censée être très formelle» et figée dans le temps, raconte l’égyptologue Philippe Martinez, chercheur au CNRS et coauteur de l’étude.

L’enquête menée par une équipe interdisciplinaire a déniché des retouches similaires dans une sépulture datant à peu près de la même époque (entre 1 400 et 1 200 ans avant notre ère) : le tombeau de Menna, où une peinture représente ce noble de Louxor les deux bras tendus vers le dieu des morts Osiris, en signe d’adoration. En filigrane, on y devinait la présence d’un «troisième» bras, que l’étude a confirmée : au fil de la conception, le bras de Menna a été déplacé pour se rapprocher de son visage. Les analyses chimiques ont en outre montré des changements de pigments utilisés pour la couleur de la chair du personnage.

Combien d’années se sont écoulées entre les retouches? Ont-elles été réalisées par les mêmes peintres? Difficile de le savoir, mais les scientifiques les jugent suffisamment importantes pour y voir une «liberté de création». Ce qui fait voler en éclats la vision d’un art «où tout le tracé est préparé à l’avance et où l’artiste n’inventerait rien face au mur», analyse Philippe Martinez.

L’égyptologue suppose au contraire une démarche complexe. Qu’elle soit du fait d’un commanditaire ou du peintre lui-même, elle venait corriger une «œuvre qui n’était pas jugée « nefer »», terme signifiant la perfection dans la langue égyptienne ancienne – qui ne contient aucun mot connu pour désigner l’art.

Parce qu’il change «la composition même de l’image», l’artiste effectue «un choix cohérent», apportant une touche personnelle qui n’a rien à voir avec la restauration d’un tableau, ajoute Philippe Walter. «On retrouve cette même démarche complexe chez les grands peintres de la Renaissance : le Titien, qui change l’angle de ses visages, Raphaël, la position de la jambe du Christ…», relève l’expert. Si la pratique se confirmait dans d’autres œuvres de l’Égypte antique, l’art pharaonique se rapprocherait alors davantage de nos «standards esthétiques actuels, nourris par l’art gréco-romain», avance Philippe Martinez.

 

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