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En Chine, des sosies en série


En Chine, l’industrie des sosies tourne à plein régime, au service de l’histoire officielle.

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L’acteur chinois Xu Rullin, sosie de Mao Tsé-toung, pose devant un portrait du fondateur de la Chine populaire. (Photos : AFP)

À 58 ans, ce comédien possède en effet une ressemblance frappante avec le fondateur de la Chine populaire : c’est un acteur spécial, un « texing yanyuan ». « Depuis des années, des acteurs et des réalisateurs me conseillaient de jouer Mao, mais je ne les écoutais pas », raconte Xu, qui a passé l’essentiel de sa carrière au théâtre. « Mais en ce moment, il y a tellement d’occasions de jouer Mao ! », dit-il, qu’il n’y a pas résisté.

Sur les planches, dans les entreprises, ou pour les plus chanceux, à la télévision, ils sont des dizaines de sosies à interpréter les « grands hommes » de l’histoire du régime. Car depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en 2012 et la sévère censure qui a suivi, les réalisateurs de télévision ont été invités à se réfugier sur des émissions et des films strictement alignés sur la vision officielle (et censurée) de l’histoire récente.

Outre le personnage de Mao, son bras droit, Zhou Enlai, ou encore Deng Xiaoping, le réformateur des années 1980, sont aussi très en vogue dans les studios. Devant les caméras, les maquilleuses lui rajoutent le grain de beauté au menton, tandis qu’il s’astreint à fumer cigarette sur cigarette comme son personnage, habillé de son légendaire costume gris, le pantalon porté haut sur la bedaine.

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Du « Grand Timonier », Xu Ruilin en a les traits, la chevelure et la stature.

Exercice supplémentaire, la pratique du dialecte du Hunan, la province d’origine de Mao, à l’accent si prononcé qu’il rendait ses discours difficilement compréhensibles par ses pairs. Touche finale de l’acteur, une calligraphie soigneusement étudiée, « à la Mao ». Le résultat est tel qu’il lui a valu, dit-il, les félicitations du petit-fils de son personnage, le général Mao Xinyu. Au point que dans ses tournées, on le traite « comme un haut dignitaire, comme le vrai Mao ».

> Jeux de mots et décolletés interdits

Les fictions historiques se déroulent pour la plupart après la prise de pouvoir des communistes en 1949. Et ont immanquablement pour héros des cadres du parti. Sous le président Xi Jinping, ces programmes se sont multipliés pour atteindre 44 % des fictions produites en 2013, selon les derniers chiffres disponibles de l’Administration de la presse, des publications, de la radio, des films et de la télévision (APPRFT).

Sur 127 « programmes télévisés recommandés » l’an dernier par l’APPRFT, la plupart étaient des œuvres de propagande, telles Nous sommes membres du Parti, Deng Xiaoping à la croisée historique des chemins ou Zhu De, un père fondateur, avait révélé la presse chinoise. Le reste des fictions doit passer l’examen sourcilleux des censeurs. Les ciseaux claquent systématiquement sur les aventures amoureuses d’un soir, le sexe dans l’espionnage, les femmes éprises de plus d’un homme, les voyages imaginaires dans le temps, et même les jeux de mots et calembours à la chinoise.

Début janvier, L’Impératrice de Chine, série historique à gros budget, a dû refaire un passage en post-production pour cause de décolletés plongeants, quoique historiquement conformes. « À cause de toutes ces contraintes, la plupart des sujets sont difficiles à produire. Mais chacun est complètement libre de réaliser des films antijaponais ou historiques, explique Zhu Dake, professeur d’université à Shanghai. Pour éviter de dépenser beaucoup et de voir sa production finalement censurée, tout le monde s’est mis à produire des séries soi-disant historiques. »

Le concept d' »acteur spécial » a été emprunté à l’Union soviétique peu après la mort de Mao. Au début, seul un ou deux acteurs étaient habilités à jouer ces rôles d’exception. Mais depuis, le bouleversement du paysage médiatique et cinématographique chinois a fait le bonheur des sosies. Guo Weihua, lui, pourrait être le jumeau de Zhou Enlai. À cela près qu’il roule en Mercedes et boit des cappuccinos au Starbucks.

À 52 ans, il a joué le rôle de l’ancien Premier ministre et chef de la diplomatie de Mao dans plus de 70 films et séries. « Avant, je jouais aussi d’autres rôles, mais aujourd’hui, il y a tellement de projets avec Zhou que je ne joue pratiquement plus que lui », reconnaît-il, sans cacher qu’il aimerait bien « diversifier » ses prestations. Dès 1942, Mao décrétait que l’art devait « servir les masses » et la révolution, promettant ses foudres aux œuvres « bourgeoises » critiques du Parti communiste.

En octobre dernier, l’actuel président, Xi Jinping, qui revendique l’héritage de Mao, affirmait que les artistes devaient diffuser les « valeurs chinoises », ne pas être les « esclaves du marché », « ni hésiter un instant, si on leur demande qui ils servent ». Mais « les nouveaux venus qui jouent Mao, ils n’ont même pas lu ses écrits », grince le professeur Zhu.

Le Quotidien (avec AFP)

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