Pokémon Go est le phénomène viral du moment. Mais derrière les mignonnes petites personnes de l’application, la protection des consommateurs et de leurs données personnelles est mise à mal.
Après vingt ans d’existence, on pensait les Pokémon oubliés et dépassés par des personnages de jeux vidéo et de dessins animés plus récents, même de leur mère la société japonaise Nintendo. Mais c’était sans compter un certain John Hanke, qui a complètement relancé les Pokémon.
Ingress, ancêtre de Pokémon Go
Pokémon Go a été développé par la société Niantic, elle-même fondée en 2010 par John Hanke, qui a créé Google Earth. L’Américain est une référence dans la Silicon Valley et Pokémon Go n’est que l’aboutissement d’un long projet. En effet, Niantic avait déjà développé un jeu basé sur le géocaching en 2012 et la réalité augmentée, Ingress. Le jeu utilisait là aussi les données de Google en termes de cartographie et les joueurs devaient retrouver dans la vie réelle des «portails» matérialisés par des points d’intérêts de notre réalité (monument, statue, fontaine, etc.) afin que les joueurs en prennent possession dans le jeu. Ingress, qui compte près de 10 millions d’utilisateurs dans le monde, peut ainsi être considéré comme la base de Pokémon Go. D’ailleurs, plusieurs utilisateurs ont remarqué que les «portails» d’Ingress correspondaient aux pokéstops dans Pokémon Go.
En octobre dernier, Niantic arrive à faire entrer dans son capital Nintendo, The Pokémon Compagny (firme créée par Nintendo pour générer la franchise Pokémon) et Google, dans le but de lancer Pokémon Go. Le pari est réussi un peu plus tard, avec la sortie de l’application le 5 juillet dernier en Océanie, puis le lendemain aux États-Unis et à partir du 13 juillet en Europe (18 juillet au Luxembourg). Trois semaines plus tard, Niantic est valorisée par la banque Citibank à hauteur de 3,6 milliards de dollars et Pikachu et sa bande rapporteront plus de 750 millions de dollars de revenus à Niantic d’ici la fin de l’année.
Si l’application s’avère «fun» en faisant apparaître des Pokémon dans notre réalité, des voix se lèvent rapidement voyant la proximité avec Google d’un mauvais œil. En effet, pour y jouer, les utilisateurs doivent se connecter via, en autres, leur compte Gmail (boîte aux lettres numérique de Google). Un ingénieur américain s’aperçoit très vite aussi que Pokémon Go permet d’accéder aux données personnelles des utilisateurs notamment via leur compte Google et même de contrôler leur courrier électronique. Mais Niantic affirme très vite que c’est une négligence de sa part et règle le problème aussitôt. Mais cet épisode pose là encore des questions quant à la sécurité pour les utilisateurs, notamment lorsqu’une application utilise la géolocalisation et la caméra d’un smartphone.
Conditions générales d’utilisation à lire
Rassurez-vous, Niantic fait dans la transparence, ou presque, comme toutes les entreprises développant des applications ou des objets connectés. Avant même de commencer à chercher les Pokémon, Niantic demande de lire attentivement les conditions générales d’utilisation (CGU) et de les accepter. Autant le dire clairement, la grande majorité des personnes clique très rapidement sur «j’accepte» sans avoir lu une seule ligne des CGU.
«Il y a pourtant des points qui posent des questions délicates en termes de protection du consommateur», explique le docteur Matthieu Farcot, Legal & Business Affairs Manager au sein de SMILE (Security made in Lëtzebuerg). «Dès le début, Niantic signale qu’en cas de litige, seuls les tribunaux californiens sont compétents, ce qui, pour le consommateur, surtout européen, n’est pas vraiment une bonne nouvelle, sauf dans le cas d’une class action (NDLR : un recours collectif qui permet à un grand nombre de personnes de lancer une action judiciaire). On peut également lire dans les CGU que l’utilisateur accepte que les données de jeu, un terme assez vague, soient utilisées par Niantic et ses partenaires, y comprendre ses partenaires commerciaux. Autrement dit, Niantic va pouvoir vendre à une société de fast-food le nombre de fois que votre téléphone s’est rendu dans un endroit où l’on vend des hamburgers», souligne Matthieu Farcot.
Autre ligne plus ou moins surprenante, Niantic précise qu’il a le droit de changer à sa guise ses conditions d’utilisations à partir du moment où le bouton «j’accepte» a été validé par le futur chasseur de Pokémon. Le spécialiste des questions de droit de SMILE se veut tout de même un peu rassurant : «En termes de protection des données, on peut dire que Niantic n’a pas exagéré. Il est peut-être moins dangereux d’avoir Pokémon Go que Facebook.»
Pokémon Go n’est au final pas plus intrusif que cela, mais reste tout de même une porte d’entrée pour une utilisation de données à des fins malveillantes ou même commerciales. D’ailleurs, Matthieu Farcot met en garde contre la banalisation d’applications permettant de récolter des données sur notre vie privée et pouvant très vite se retourner contre nous. Cela va d’une application comme Pokémon Go au bracelet connecté à notre poignet pour le sport. «On parle déjà d’assureurs voulant utiliser les données d’un tel bracelet pour fixer le montant d’une assurance santé en fonction de l’activité physique d’un client», souligne Matthieu Farcot avant d’ajouter : «Les conséquences sociétales d’un tel procédé pourraient être assez graves, d’où la nécessité de protéger le consommateur.»
Jeremy Zabatta
Conseils d’utilisation
Comme toutes les applications gratuites avec des achats intégrés, c’est-à-dire où il est possible d’acheter des «options» permettant de rendre plus facile l’application ou bien d’accéder plus rapidement aux niveaux supérieurs, il est assez courant de se retrouver avec une facture plutôt élevée à la fin du mois, surtout si les enfants ont eu la main lourde sur les achats intégrés.
Autre point à surveiller, les restrictions de partage lorsque l’application téléchargée demande de se connecter via notre boîte mail. Il est souvent possible de restreindre les niveaux de partage dans les paramétrages du compte mail en question.
Dernier conseil, il est bon de veiller à ne pas être naïf lors de l’utilisation d’une application téléchargée sur smartphone. Par exemple, si une application «lampe torche» demande à accéder aux contacts alors que pour produire de la lumière la liste du répertoire du smartphone n’est pas vraiment utile, il vaut mieux ne pas accepter la requête et même désinstaller l’application.
Pas si gentils… mais qui aiment l’art et l’histoire
Au Luxembourg, les points d’intérêts (pokéstops) dans Pokémon Go se trouvent très souvent autour d’une œuvre d’art ou bien d’un bâtiment historique.
L’application Pokémon Go a le mérite de faire marcher ses utilisateurs, qui sont à la recherche de pokéstops, des points d’intérêts comme des œuvres d’art, des statues, des monuments et autres lieux symboliques formant le paysage d’une ville chargée d’histoire comme Luxembourg.
Sans entrer dans le débat afin de savoir si cette application est bonne ou mauvaise pour les esprits, force est de constater qu’elle permet de découvrir certains lieux de la capitale, comme le petit parc Heintz (Heentzepark) jouxtant le siège de la BIL sur le plateau Maria à Luxembourg. Ce parc et les alentours de la banque disposent d’une petite dizaine de pokéstops, qui correspondent à des bancs design, des sculptures et des statues d’éléphants décorés disséminés un peu partout dans le parc Heintz. «Ce parc est un assez bon endroit pour faire une partie, il y a pas mal de pokéstops et pas mal de Pokémon intéressants», confie un chasseur traversant le parc.
Au Kirchberg également, le nombre de pokéstops est assez élevé du fait que les sociétés implantées sur le plateau ont très souvent contribué à la présence d’une œuvre d’art dans l’espace public. Les banques, et les sociétés financières en général, sont donc devenues bien malgré elle des repères de Pokémon.
La chasse, ça cultive
En parcourant ainsi la ville, de pokéstop en pokéstop, il est possible de découvrir des bâtiments atypiques, comme ce bâtiment en forme de fer à repasser (qui est un pokéstop) sur la place Goethe ou encore un tag artistique au fin fond d’un parc longeant la Pétrusse. «En temps normal, on ne s’attarde pas tellement sur les bâtiments ou les sculptures, mais avec Pokémon Go, il est vrai que l’on s’arrête quelques minutes pour lire les lignes en dessous de l’œuvre ou sur le bâtiment», avouent deux jeunes chasseurs devant la Villa Pauly avant de souligner : «On ne connaissait pas du tout l’existence d’un tel lieu ni même son histoire.» (NDLR : la Villa Pauly a été le symbole de la répression contre la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale).
Au moins, Pokémon Go peut donc avoir un côté ludique en faisant découvrir aux chasseurs des lieux qui ont une importance historique, ou du moins l’application permet-elle de les effleurer. Guy, grand-père de deux jeunes de dix et douze ans, profite de l’application pour faire découvrir les vestiges du passé : «Je ne sais pas s’ils m’écoutent vraiment, mais pendant leurs chasses aux Pokémon, je tente d’expliquer ce que représente cette statue ou bien ce bâtiment. S’ils retiennent même une petite partie, c’est déjà une victoire.»
Luxembourg ne fait pas office d’exception, toutes les villes disposent de points d’intérêts dans l’application. À Esch-sur-Alzette, par exemple, le musée national de la Résistance est également un pokéstop, ainsi que les œuvres d’art dans la rue piétonne du centre-ville.
Le phénomène en quelques chiffres
1 600 000
L’application Pokémon Go rapporte à ses créateurs la modique somme de 1 600 000 dollars par jour (estimation faite uniquement pour les utilisateurs d’un iPhone).
50
En million, c’est le nombre de fois où l’application Pokémon Go a été téléchargée sur un smartphone, via Android, moins d’un mois après sa sortie officielle.
5
On estime que Pokémon Go est installé sur 5% des smartphones dans le monde.
7
Pokémon Go a dépassé la barre des dix millions de téléchargements en seulement 7 jours.