Ils ont célébré cette semaine le «Jour des peuples autochtones». Mais avec la même angoisse de part et d’autre des États-Unis : l’extinction de leurs langues ancestrales.
Les États-Unis comptent 6,8 millions d’Américains «natifs» – soit 2 % de la population –, qui ont fêté pour la deuxième fois lundi le «Jour national des peuples indigènes», proclamé vendredi par un décret de Joe Biden, après une décision inédite du président démocrate en octobre 2021. Cette nouvelle fête américaine correspond dorénavant au «Columbus Day», un jour férié de plus en plus brocardé par la gauche anticolonialiste, défenseure des minorités et qui veut déboulonner la statue du navigateur génois Christophe Colomb, «découvreur» de l’Amérique le 12 octobre 1492.
À New York et à Newton, dans le Massachusetts, des centaines de descendants ont marqué ce 10 octobre par des cérémonies, prières, danses et pow-wow dans une ambiance festive. Femmes et hommes de la nation indienne Shinnecock de Long Island, langue de terre à l’est de New York, se sont rassemblés au lever du soleil avec vue imprenable sur la mégapole et se sont recueillis sur une plage de Randall’s Island, une île de l’East River coincée entre Manhattan et le Queens.
Décimés par des siècles de colonisation
Plus au nord sur la côte Atlantique, en Nouvelle-Angleterre, où de premiers pèlerins anglais avaient été accueillis en 1620 par des Indiens Wampanoag, nombre d’Amérindiens des États-Unis et des Caraïbes se sont aussi retrouvés pour danser, chanter, prier, dialoguer et manger.
Alors que leurs ancêtres ont été décimés par des siècles de colonisation, leurs descendants expriment aujourd’hui l’angoisse de voir en une génération leurs langues englouties par l’anglais et l’espagnol. «C’est vraiment possible, c’est l’invasion du XXIe siècle», souffle Anthony Sean Stanton, 64 ans, chef de la tribu Narragansett, qui «encourage tous les peuples autochtones à s’accrocher à ce qu’ils ont, car une fois (la langue) perdue, c’est perdu pour toujours».
Encore 1 500 locuteurs
Au centre du pays, les Lakota, du groupe des Sioux, implantés au Dakota du Nord et au Dakota du Sud, redoutent aussi la disparition de leur langue parlée par 1 500 locuteurs contre 5 000 il y a vingt ans, soulignent les linguistes et militants Wilhelm Meya et Travis Condon. «Pour les Lakota et la plupart des communautés (amérindiennes) aux États-Unis, la transmission de la langue s’est arrêtée au milieu des années 1980», explique Wilhelm Meya, président de The Language Conservancy (TLC), une organisation dans l’Indiana qui lutte pour la préservation de milliers de langues et dialectes.
Le gouvernement fédéral a mis 100 ans et des milliards de dollars pour éradiquer les langues amérindiennes
«Quand une langue ne se développe pas, ne se reproduit pas (…), qu’elle a atteint un sommet, elle commence à décliner car elle n’est pas renouvelée par d’autres locuteurs», s’inquiète l’expert, dont l’association «tente d’empêcher un effondrement complet des langues autochtones en Amérique du Nord». D’après TLC, «sur les 7 000 langues parlées dans le monde, 2 900 sont en danger.
À ce rythme, près de 90 % de toutes les langues auront disparu dans les cent prochaines années.» Et les langues amérindiennes «s’éteignent à un rythme encore plus rapide, avec plus de 200 déjà éradiquées» sur les 400 à 500 un temps parlées de l’Atlantique au Pacifique, avant l’arrivée des Européens.
« C’est une part de ce que je suis »
Pour arrêter l’hémorragie, il faut «enseigner nos langues amérindiennes à l’école» publique, ce que «le gouvernement fédéral a autorisé à partir des années 1970», rappelle Wilhelm Meya. Il milite aussi pour «faire des dictionnaires, former des enseignants, développer du matériel pédagogique, traduire des dessins animés et des documentaires (…) tout ce qui peut toucher les jeunes qui ont énormément soif d’apprendre leur langue». À l’image de Miya Peters, Wampanoag de 18 ans qui apprend sa langue grâce à un partenariat entre son école tribale et son école publique. «J’aime ça, c’est difficile et très différent, mais c’est une part de ce que je suis», dit la jeune femme.
Wilhelm Meya souligne que «le gouvernement fédéral a mis 100 ans et des milliards de dollars pour éradiquer les langues amérindiennes grâce au système scolaire» aux États-Unis. «Il lui faudra les mêmes ressources pour ranimer ces langues indigènes en Amérique du Nord. C’est beaucoup plus difficile de créer que de détruire.»
Wilhelm Meya et Travis Condon veulent poursuivre l’œuvre d’une personnalité réputée aux États-Unis et à l’étranger de la culture amérindienne : Kevin Locke, ardent défenseur de sa langue Lakota, «combattant pour sa tribu, ambassadeur pour l’humanité», flutiste, danseur de cerceaux, éducateur et conteur qui est mort brutalement le 30 septembre, à 68 ans.