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[Danse] Le mouvement parle mieux que les mots


La pièce Narr, de Vidal Bini, se base sur une épidémie de danse qui a eu lieu en 1518, à Strasbourg. (Photo : DR)

Ce mardi soir, le Trois C-L présente (avec un nombre de sièges limité) un 3 du Trois avec deux projets, l’un de la Luxembourgeoise Rhiannon Morgan, l’autre du Français Vidal Bini, qui questionnent la place du corps dans la société et, à travers la danse, l’exploration de thématiques toujours plus actuelles.

Les nouvelles mesures de restriction sanitaire ayant fortement réduit les capacités d’accueil du Centre de création chorégraphique luxembourgeois (Trois C-L), cette édition de novembre du 3 du Trois, rendez-vous mensuel phare de l’établissement qui se déroulera ce mardi soir à partir de 19 h, est déjà complète. Mais les deux artistes invités, Rhiannon Morgan et Vidal Bini, proposeront chacun une réflexion autour de thèmes actuels : le virus, bien sûr, mais aussi les questions de l’appropriation culturelle, de la recherche d’identité, des liens sociaux ou encore la place de la femme dans la société. 

La rencontre avec les artistes se fait quelques heures à peine avant l’annonce d’Emmanuel Macron d’un reconfinement en France. Pour le chorégraphe français Vidal Bini, également directeur du théâtre du Marché aux grains à Bouxwiller (Bas-Rhin), «ce qui est important, c’est de pouvoir proposer aux artistes des solutions pour qu’ils puissent continuer de travailler» en période de crise sanitaire et avec la deuxième période de fermeture des établissements culturels. Conscient que le risque de «perdre le lien avec le public» est toujours aussi présent, il souligne aussi qu«il faut que les artistes aient quelque chose à montrer»laissant sous-entendre que la fermeture rend les théâtres et autres institutions victimes d’un cercle vicieux d’où il est difficile, à la fois pour les artistes et le public, d’en sortir gagnant. 

Épidémie de danse

Le projet que présente Vidal Bini, Narr : Pour entrer dans la nuit, se base sur une épidémie de danse – «ce n’est pas une blague», précise-t-il – qui a eu lieu à Strasbourg en 1518. L’idée remonte à «fin 2014», quand «un chorégraphe avec qui je travaillais, qui avait 68 ans à l’époque, m’a confié qu’il avait toujours voulu montrer un projet qui raconte cela»«C’est une épidémie qui a duré tout un été : les gens dansaient dans la rue, de manière spontanée, puis les cas se sont multipliés La pièce n’est pas une reconstitution historique, mais questionne la place et le contexte de la danse, «qui est toujours vue comme quelque chose d’un peu fou si elle n’est pas encadrée». 

Narr avait pour but d’être «un projet interactif», auquel puisse prendre part le public. On pense alors au théâtre d’avant-garde de la fin des années 1960, l’esprit des performances qui pullulaient dans les espaces de création de Greenwich Village, à New York. Mais si les effets de la pandémie rendent impossible la participation du public – qui était aussi dans le projet de la pièce de Rhiannon Morgan – le sentiment de contagion qui est au cœur de la création de Vidal Bini se traduit par une pluralité des danses, une cacophonie ordonnée des différentes origines représentées. On arrive à la question de l’appropriation culturelle qui fait débat aujourd’hui. Avec Narr, le chorégraphe «attend de pouvoir vérifier les contextes culturels et dimensions rituelles» des danses qu’il y inclut, dont «des danses traditionnelles alsaciennes, congolaises ou cambodgiennes», toutes accompagnées par des spécialistes de ces danses, qui amènent avec elles leur histoire et signification. 

«La sensation de se libérer»

C’est avec un premier projet solo que Rhiannon Morgan, danseuse – et désormais chorégraphe – luxembourgeoise que l’on ne présente plus, ouvre ce 3 du TroisAdH(A)rA renvoie à un concept de la philosophie bouddhiste qui décrit les cinq couches qui enveloppent l’être humain«Le but était, pour moi, de trouver quelles étaient ces cinq couches», dit-elle. 

Sa pièce questionne l’être humain, ce qui le constitue, ce qui le rend complet. Ses paradoxes, aussi bien sûr, dont Rhiannon Morgan affirme qu’elle «en est plein»«Pour cette pièce, j’ai lu beaucoup d’ouvrages de psychologie, surtout (Carl) Jung, qui propose que l’être humain, jusqu’à 18 ans, passe aussi par cinq stades où l’on s’approprie des personnages pour pouvoir faire face à la famille, la société, l’école, le travail Ces personnages nous servent, consciemment ou inconsciemment, pour faire face au monde extérieur.» Ce sont eux qu’elle met en scène, épluchant ces personnalités l’une après l’autre pour «se mettre à nu devant le public» ou, pour raccorder à la pensée bouddhiste, trouver son essence, le tout. 

Rhiannon Morgan interprètera ses cinq personnages de façon très personnelle, mais ceux-ci ont beaucoup à dire, de manière universelle, sur l’humain. «Le premier personnage, c’est l’ouvrier, la machine qui se met en route et qui doit faire, fabriquer. Pour le deuxième, j’ai voulu explorer la féminité en m’appuyant sur le personnage de la geisha. J’ai beaucoup de mal avec cette question car la femme est toujours vue, du point de vue historique, comme pécheresse, sale, mais je me sers aussi de cela pour questionner le corps. Le troisième personnage, c’est l’animal, l’instinct qui sort en nous puis se réveille. Le quatrième, c’est le cocon, et l’idée de renaissance. Et le cinquième, c’est moi (rires) «Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais c’est moi, sans tout ce que je me suis appropriée.» 

À travers cette première création en solo, la chorégraphe et danseuse explore donc un concept métaphysique et, via celui-ci, la complexité de sa compréhension. Une complexité qui pourrait être plus simplement vue comme une exploration de «la sensation de se libérer, de s’accepter, de s’affirmer»Elle l’exprime dans un langage corporel différent de ce que propose Vidal Bini, mais le questionnement est, au fond, le même. Il y a quelque chose de subversif à jouer de la spontanéité du corps. C’est le rôle des artistes chorégraphes de soulever par le corps plus de réflexions sur l’état du monde et la condition humaine que tous les mots.

Valentin Maniglia

3 du Trois, ce mardi à 19 h, au Trois C-L : Narr de Vidal Bini et AdH(A)rA de Rhiannon Morgan.

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