Il a pris «de la distance» avec la création depuis Playtime (2015). Le chorégraphe Jean-Guillaume Weis revient à la scène avec « A Bucketful of Dreams », où il est question de rêves fantasmés et de désirs enfouis, qui refont surface.
Avec huit jeunes danseuses et danseurs sur la scène du TNL, cette pièce – à mi-chemin entre danse et théâtre, dans la pure tradition du Tanztheater de Pina Bausch dont le chorégraphe est issu raconte les rêves, ceux qui nourrissent l’imaginaire, et leurs confrontation à la dure réalité de l’existence. Une création qui, au final, parle de l’homme comme il est : vulnérable, insatiable, désespéré, faible et fort à la fois.
D’où vient l’idée de A Bucketful of Dreams ?
Jean-Guillaume Weis : Il ne faut pas s’y méprendre : les rêves abordés ici ne sont pas ceux que l’on fait en dormant, mais correspondent à nos envies, nos désirs… Ils répondent à cette question, fondamentale : qui voudrait-on être dans la vie ? Ces aspirations sous-entendent, bien sûr, qu’il y a des choses que l’on ne peut pas réussir, concrétiser, surtout quand on les aborde seul. A Bucketful of Dreams parle donc d’humanité, de collectif, et de ce revers de la médaille.
Le rêve, l’espoir, sont-elles des notions encore plus importantes aujourd’hui ?
Absolument ! Moi-même, souvent, je suis désabusé par ce qui m’entoure. Je trouve que les gens ne rêvent plus assez, tournés qu’ils sont vers le matérialisme. On est dans une sorte de course frénétique sans le moindre sens : on veut avoir le téléphone le plus sophistiqué, les habits les plus chers, les voitures les plus grosses. C’est triste… Et quand on désire trop de choses, au final, on n’est jamais heureux. Finalement, tout ça, je n’en parle que très peu dans la pièce.
En même temps, faire rentrer une Ferrari au TNL, c’est compliqué…
(Il rigole) De toute façon, on n’avait pas trouvé le sponsor pour !
À quoi aspirez-vous ?
Déjà, je suis papa d’une petite fille depuis peu, donc, dans un souci d’héritage, j’aspire à plus d’équité, d’humanité. D’un point de vue plus « égoïste », ça fait vingt ans que j’essaye de monter ma propre compagnie de danse au Luxembourg, alors que, parallèlement, le ministère dépense des millions d’euros pour le fameux « nation branding », pour faire croire au monde entier que le Grand-Duché est un endroit formidable ! On est pourtant, moi, au même titre que tous les citoyens du pays, les principaux représentants de sa richesse, de sa qualité… Pourquoi les soutiens manquent-ils à ce point, alors ? Même si je n’y parviens pas, je m’accroche à ce vieux rêve… Ça me fait tenir et me donne des idées de créations. Et franchement, au vu des résultats, ça vaut le coup !
Comment s’est passée alors la collaboration avec les huit danseuses et danseurs ? Eux-mêmes se sentent-ils déjà « désabusés » ?
Sur la thématique, il y a eu un vrai échange : j’ai apporté des idées, eux aussi, certes, de manière plus réduite, que l’on a modifiées pour qu’elles prennent forme, et sens, sur scène. Disons que j’ai agi comme un professeur, un maestro : ils sont tous jeunes, n’ont pas l’expérience du Tanztheater. Les bagages leur manquent… Mais les accompagner et partager mes connaissances a été un réel plaisir.
Sans trop en dévoiler, de quels rêves parle-t-on ?
Il est surtout question de liberté, de comment s’affranchir de ses propres limites. Ça, on peut le montrer avec la danse. Du coup, A Bucketful of Dreams apparaît comme une pièce très stylisée, comme un monde irréel dans lequel on avancerait. Un rêve, en somme. En outre, on aborde aussi la notion de solitude, et cette volonté de ne pas être livré à soi-même, de l’importance d’être ensemble, soudé, de s’entraider pour réussir.
A Bucketful of Dreams est-elle une pièce pessimiste ou optimiste ?
Plutôt optimiste. Elle peut paraître mélancolique, notamment à travers la musique, jouée en direct, du violoncelliste André Mergenthaler. Moi, je préfère parler de romantisme. Elle développe une sorte de beauté touchante, propre à un monde fragile. Enfin, il y a une petite touche d’humour, en suspension. Bref, c’est une pièce très à fleur de peau, mais sans jamais être triste. Le sinistre et le noir, on évite. Ça reste positif !
Vous parlez aussi d’un effet miroir avec le public, qui doit se reconnaître dans ces thèmes universels. Votre travail, encore une fois, est finalement humaniste ?
C’est, je pense, ce que je fais depuis toujours avec mes spectacles. Je veux que le public y puise quelque chose de fort, une émotion, une sensation. Avoir des idées, tout le monde sait faire. En faire quelque chose de pertinent et de marquant, ça, c’est une autre affaire !
Quels sont vos espoirs pour A Bucketful of Dreams ?
Évidemment, que le public vienne la voir, qu’il aime la danse ou non d’ailleurs. C’est le genre de spectacle auquel j’aimerai assister, et c’est loin d’être souvent le cas (il rit). Comme quoi, dans tous ces rêves, je sais déjà ce que je ne veux pas. C’est un bon début, non ?
Entretien avec Grégory Cimatti