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Dans la tête des soignants, les ravages du coronavirus


"L'étiquette de héros peut, parfois entraîner une pression supplémentaire" (Photo d'illustration : AFP).

Aide-soignant dans le nord-est de l’Angleterre, Steve a contracté la maladie Covid-19 il y a deux mois. Depuis guéri, il raconte l’angoisse de contaminer ses enfants: pour de nombreux soignants, le virus a frappé durement les esprits et les séquelles restent.

« A mon retour au travail, je n’arrivais pas bien à dormir, je m’inquiétais de risquer de rapporter le virus à la maison et que je puisse l’attraper de nouveau », explique-t-il. « Je n’aurais jamais imaginé avoir à travailler en première ligne pendant une pandémie. J’aimerais que ce ne soit qu’un rêve et qu’en me réveillant, le monde redevienne comme il était. »

Médecins, infirmières et aides-soignants sont en première ligne dans la pandémie du nouveau coronavirus. Le stress et l’anxiété d’avoir à travailler dans un environnement aussi intense de maladie et de mort sont devenus le lot commun des soignants.

Organismes professionnels et experts parmi les pays les plus touchés en Europe plaident pour un renforcement du soutien psychologique, tout particulièrement si une deuxième vague déferle.

« On a là tous les ingrédients d’un risque majeur de stress post-traumatique », estime Xavier Noël, expert des questions de santé mentale à l’Université libre de Bruxelles.

Ceux qui interviennent en soins intensifs « ont fait face à un taux de décès et à une manière de mourir totalement inhabituels, dans un contexte plus déshumanisé, sans la présence des familles pour les soulager sur la prise de décision », explique-t-il.

Colère, insomnie et larmes

L’Europe déplore près de 175.000 morts et plus de deux millions de cas. Les soignant qui mènent la bataille pour sauver des vies paient un lourd tribut.

L’une de ces études, menée début mai auprès de 3.300 soignants de Belgique néerlandophone, montre que 15% songent souvent à « quitter la profession » contre 6% en temps normal.

Une autre observe une absence d’augmentation d’alcool pendant le confinement dans la population… sauf chez les soignants.

En France, l’association Soins aux personnels de santé explique recevoir plus de 70 appels par jour, dont certains avec un « risque de passage à l’acte imminent ».

En Espagne, plus de 50 000 soignants ont été testés positifs au Covid-19, soit 22% des cas recensés dans le pays, selon le ministère de la Santé.

L’anxiété est largement répandue, selon une étude de l’université de Madrid, selon laquelle plus de la moitié (51%) des 1.200 soignants interrogés présentent des « symptômes dépressifs ». 53% présentaient des signes « compatibles avec un stress post-traumatique ».

« Une intervention psychologique urgente est nécessaire pour ce groupe si une seconde vague tant redoutée se matérialise », selon les auteurs de l’étude, Lourdes Luceno Moreno and Jesus Martin Garcia. « Nous allons voir des professionnels abîmés émotionnellement et un système de santé sans capacité de réponse. »

L’université catholique du Sacré-Coeur de Milan a découvert que sept professionnels de santé sur dix dans les régions les plus touchées d’Italie souffrent d’épuisement, neuf sur dix de stress.

Beaucoup ont signalé une irritabilité exacerbée, troubles du sommeil et terreurs nocturnes, ainsi que des crises de larmes.

Selon la chercheuse Serena Barello, le stress professionnel habituel a été exacerbé par la charge accrue de travail, « mettant gravement en danger leur santé non seulement physique, mais aussi émotionnelle et psychologique ».

Pression sur les « héros »

Au Royaume-Uni, deuxième pays le plus touché après les Etats-Unis en termes de nombre de morts, l’unique association qui apporte un soutient psychologique, Laura Hyde, explique avoir été inondée d’appels

« Partout les personnels de santé ont été réellement touchés par tout l’amour qu’ils ont reçu de la part du public », explique Jennifer Hawkins, une des responsables de la fondation fondée en mémoire d’une infirmière qui a mis fin à ses jours en 2016. « Mais l’étiquette de héros peut, parfois entraîner une pression supplémentaire ».

« La dure réalité de leur travail a des répercussions importantes sur la santé mentale », prévient-elle. « Il ne faut pas que les professionnels de santé souffrent en silence, qu’ils se prescrivent ce qu’il prescriraient aux autres et demandent de l’aide. »

AFP