White Noise
de Noah Baumbach
avec Adam Driver, Greta Gerwig, Don Cheadle…
Genre comédie / drame
Durée 2 h 16
Netflix
On le sait, Noah Baumbach aime se poser en fin observateur des couples qui se déchirent et des familles bancales. Ainsi, au cœur de sa filmographie, on trouve notamment Les Berkman se séparent (2005) et, plus récemment, Marriage Story (2019), déjà estampillé Netfix, et déjà avec Adam Driver. Fort de ce dernier succès et six nominations aux Oscars plus tard, le cinéaste revient ici à ses obsessions mais change totalement la forme : finis la tendresse, la mélancolie et le tire-larmes, place à la satire absurde et à l’humour noir.
La faute à Don DeLillo, écrivain mordant et auteur en 1985 de ce White Noise qui, sous ses airs déjantés, dépeint l’Amérique (voire la civilisation toute entière) en pleine déconfiture, au point de retrouver, presque quatre décennies plus tard, des échos tenaces : la saturation médiatique, la consommation effrénée, la violence endémique, la vacuité de la société du spectacle, sans oublier la crise écologique qui pointe le bout de son nez. Avec en toile de fond, comme le suggère le titre, le bruit du monde qui s’agite, à la fois discret et fatigant.
En adaptant le livre, Noah Baumbach ne pouvait pas passer à côté du tumulte et de l’étrangeté qui l’anime. Cela s’observe dès les premières scènes, à travers des dialogues de haute volée portés par des personnages bavards et cérébraux. Ainsi, Don Cheadle (alias Murray), professeur d’université qui étudie les icônes contemporaines et bloque sur le cas d’Elvis, fait défiler devant les yeux de ses élèves des images de crashs automobiles au cinéma, en disant : «Au-delà de la violence, on y trouve un merveilleux foisonnement d’innocence et de joie.»
Loin de l’école, son collègue et ami Jack (Adam Driver), le plus grand spécialiste d’Hitler en «Amérique du Nord», échange avec sa femme (Greta Gerwig) au creux du lit. Elle : «J’aime cette vie». Lui : «Mais d’où te vient cette idée?». L’ambiance est posée et les discussions, comme les saillies métaphysiques, se poursuivent sur le même rythme au sein de la famille, évidemment dysfonctionnelle. Les quatre enfants, tous issus d’un mariage différent, sont friands de catastrophes qu’ils regardent sur la grosse télévision cathodique du salon. Ils vont être servis avec un véritable accident de train et la fuite d’un produit toxique, à deux pas de chez eux…
Divisé en trois chapitres, White Noise multiplie les réflexions sur l’amour, la religion, la vie qui passe et surtout son pendant, la mort, hantise qui articule tout le film, des scènes de panique collective aux cauchemars intimes en passant par cette angoisse existentielle que l’on calme à coups de médicaments. Dans son décor «vintage» ultracoloré, il ne choisit jamais sa forme, tantôt comédie, polar, aventure et science-fiction. On est à la croisée entre Woody Allen (pour les joutes verbales et les névroses), Charlie Kaufman (pour la folie) et Steven Spielberg (pour l’esprit familial des années 1980).
Vivons heureux en attendant la mort !
Une variété d’approches qui, sur la longueur, pourra en éprouver plus d’un. Il y a certes d’excellents moments : la scène du cours d’allemand pris en secret, la rencontre avec des nonnes non croyantes, et bien sûr, ce poison qui envahit doucement mais sûrement la ville, rappelant l’apocalyptique épidémie de covid que l’on a traversée (masque, médias anxiogènes, «fake news», surconsommation…), mais abordée sous un angle plus fun, à l’instar de l’excellent Don’t Look Up (2021).
Cela dit, pour être totalement convaincant et plus compréhensible (et qui sait, remporter un jour, enfin, un prix cinématographique), Noah Baumbach aurait peut-être dû resserrer son œuvre, qui semble lui avoir échappé. Pour s’en sortir, il réalise une dernière pirouette en guise de salut et imagine une chorégraphie en plein supermarché, nouveau lieu de culte. Sur une musique inédite de LCD Soundsystem, cette parade, sous la forme d’une comédie musicale, est finalement le plus beau des résumés : vivons heureux en attendant la mort !