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[Critique série] Bureau (des légendes), métro, dodo


Les dix épisodes (52 minutes chacun) de la saison 5 du « Bureau des légendes » sont disponibles sur Canal +. (illustration DR)

Après quatre saisons palpitantes, des geôles du Proche-Orient à l’hérésie de Daech, la saison 5 du Bureau des légendes vient d’arriver… Critique de la série star de Canal+, vendue dans plus de 100 pays.

C’était entendu : Éric Rochant, réalisateur du Bureau des légendes, a vidé son vestiaire et rendu ses faux passeports. Il doit aujourd’hui se sentir plus léger après une demi-décennie passée au sein des services secrets français, ses trahisons, ses jeux de dupes, son climat de méfiance permanent. Oui, ça use, mais ça en valait la peine : pour preuve, depuis 2013, la série star de Canal+ a été vendue dans plus de 100 pays, louée par la DGSE elle-même pour son réalisme et fait l’objet d’une récente exposition à la Cité des sciences.

Depuis cinq saisons, la série suit, sur plusieurs parties «sensibles» du globe (Iran, Irak, Syrie, Algérie, Azerbaïdjan, Russie…), les intrigues d’une poignée d’agents, immergés à l’étranger, vulnérables pièces d’un vaste échiquier géopolitique. Leur mission : se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas (professeur, sismologue, hacker…) et se rapprocher, en toute discrétion, des personnes d’influence, soit pour obtenir de précieuses informations, soit pour attirer ces cibles locales dans le camp des services français. Le tout, évidemment, sous couverture. La fameuse «légende», soit autant d’identités fictives puisées dans le très riche répertoire à jurons du célèbre capitaine Haddock dans Tintin.

Il y a donc, entre autres, Rocambole (jouée par Sara Giraudeau), Mille Sabords (Louis Garrel), et certaines, plus anciennes, ayant quitté le terrain pour mieux assurer les arrières des clandestins depuis la base, boulevard Mortier à Paris, comme Socrate (Jean-Pierre Darroussin) et Moule à gaufres (Gilles Cohen). Au milieu de cette violence globalisée, des taupes et des coups tordus, on trouve un homme, central : Guillaume Debailly, alias Malotru (agent double puis triple interprété par Mathieu Kassovitz) qui, pour l’amour d’une Syrienne, Nadia El-Mansour (Zineb Triki), trahit les siens, se perd et aggrave le mensonge qui empoisonnait déjà sa vie d’infiltré.

Car oui, c’est cette invention d’une autre existence qui est au cœur du Bureau des légendes. Comment vit-on avec ? Comment, alors, masquer ses sentiments ? Et surtout, comment ne pas perdre la tête ? Incarnation parfaite de ce mal-être profond, JJA (Mathieu Amalric), chef de la DSEC (direction de la sécurité de la DGSE), étrange personnage à la fois lucide et fou, dont la paranoïa l’amène, la nuit, à entendre des voix qui parlent russe… Rappelons qu’il partage ses initiales avec une figure historique, véritable elle, James Jesus Angleton, directeur du contre-espionnage de la CIA au siècle dernier, dont on sait qu’il sombra dans la folie.

Bref, si jusque-là, la série suivait au plus près ce que faisaient les agents infiltrés, elle se penche désormais, avec cette cinquième saison, sur les conséquences de vivre sous de fausses identités et dans le mensonge. C’est donc au plus près de ces incarnations qu’Éric Rochant place sa caméra, explorant, voyeur, la vie privée et intérieure de ses espions, leurs cicatrices, aussi, qui ne guérissent pas. Finis, donc, l’idéalisme, les missions qui sentent la poudre, l’adrénaline du terrain. Place désormais à la vie de bureau, aux fonctionnaires amers, aux ambitions carriéristes, aux loyautés qui se délitent, le tout porté par un rythme capricieux. Bref, les états d’âme en lieu et place des états de service.

On comble le vide avec des scènes de sexe

Bien sûr, Le Bureau des légendes, ce n’est pas Homeland, mais tout de même ! Après quatre saisons palpitantes, des geôles du Proche-Orient à l’hérésie de Daech, la série arrivait à saisir par d’intenses moments de tension, en alternance, certes, avec la normalité d’un quotidien professionnel (rivalités, pressions de la hiérarchie, burn-out, idylles entre collègues, discussions à la cantine). Mais là, il n’y a plus rien pour frissonner. En effet, les moments d’action sont rares (attention, un scorpion !), et ceux de suspense sont ridicules (confère la longue bouffée de panique qui saisit Nadia El Mansour au moment de quitter Moscou).

On est clairement dans la banalité la plus triviale, on comble le vide avec des scènes de sexe, on joue au psychanalyste de bas étage… Il n’y a plus d’enjeux, tout est consommé. Et l’élan convenu ne s’arrange pas quand, pour les deux derniers épisodes, Éric Rochant donne carte blanche au pourtant excellent Jaques Audiard pour, dixit, «éviter toute sentimentalité» dans ce dur exercice qu’est la conclusion.

Le réalisateur (Sur mes lèvres, Un prophète, De rouille et d’os, The Sisters Brothers) arrive là comme un chien au milieu d’un jeu de quilles, prenant le relais de façon maladroite, perdant au passage des personnages (sans donner la moindre explication), et insistant un peu plus sur le côté pépère, pourtant déjà bien développé (boulot, famille, amour, séjour à la campagne, dîner d’anniversaire…).

Un final loin d’être à la hauteur des attentes, comme le confirmaient les réactions outrées, cette semaine, d’un public déçu. Sur ces ruines encore fumantes, pourtant, une sixième saison est d’ores et déjà annoncée, avec une toute nouvelle équipe aux commandes. D’ici là, on attend le nouveau James Bond. C’est dire.

Grégory Cimatti

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