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[Critique cinéma] «Hit Man» : concessions d’un tueur à gages


Hit Man

de Richard Linklater

Avec Glenn Powell, Adria Arjona, Austin Amelio…

Genre comédie / policier

Durée 1 h 55

Et si l’impressionnante œuvre de Richard Linklater, pilier du cinéma indépendant américain, se lisait comme un traité de philosophie libre et décalé sur le passage du temps, sur l’état et la maturation des corps, ou encore sur la quête d’une place pour l’humain, toujours fragile (ou fragilisé) et sentimental, dans la société qui l’entoure ?

Depuis la galerie de marginaux filmés l’espace d’un après-midi estival dans Slacker (1991) jusqu’à Boyhood (2013), sublime portrait de l’adolescence tourné sur dix ans, les personnages de Richard Linklater portent systématiquement en eux des éclats autobiographiques…

Il en va de même pour les bizuts de Dazed and Confused (1993) et Everybody Wants Some!! (2016), le guitariste raté devenu prof remplaçant dans School of Rock (2003), ou même le flic schizophrène de A Scanner Darkly (2006) et Bernie (2011), le croque-mort tueur de vieilles dames.

Dans Hit-Man, son vingt-troisième long métrage absolument réjouissant, le Texan poursuit allègrement ses interrogations philosophiques sur la nature et la formation de l’identité en mettant en scène… un prof de philo, Gary (Glenn Powell), qui invite au début du semestre ses étudiants à se demander si leur «moi» est «une construction, une illusion, un jeu ou un rôle (qu’ils jouent) jour après jour».

Gary a une vraie tête de «nerd», conduit une Honda Civic, vit seul avec ses deux chats et se nourrit essentiellement de céréales de petit déjeuner. Loin de l’ennui qui plane au-dessus de ses étudiants assis sur les bancs de la fac, Gary, qui arrondit ses fins de mois en mettant à profit ses connaissances dans l’électronique pour filer un coup de main à la police, va être amené à affronter son identité, et tous les « moi » qu’il aurait pu être, en devenant, pour la loi, un (faux) tueur à gages, après la mise à pied d’un collègue infiltré.

Le job est simple : le tueur donne rendez-vous à ses clients – pour la plupart des cas désespérés – dans un «diner», enregistre leurs demandes (qui passent pour des aveux une fois la transaction achevée) et attend de les voir se faire gentiment cueillir à la sortie.

Gary n’est ni flic ni tueur, mais se découvre un don pour l’improvisation et la création de personnages : qu’il prenne les traits d’un «redneck» fou d’armes à feu, d’un professionnel anglais, sadique et maniéré, ou d’une grosse brute russe, Gary aborde son emploi additionnel comme une entrée à l’Actors Studio, façonnant chaque rôle selon le client.

Un jour, il devient Ron, un tueur sûr de lui, élégant et sexy, pour son rendez-vous avec Madison (Adria Arjona), qui tente de faire éliminer son mari parce qu’elle se sent en danger. Entre le «hit man» bidon et la femme fatale, il y aura bien sûr une histoire d’amour, mais aussi un mystère à résoudre à l’abri de la police.

Ron, en apparence comme dans le comportement, est un vrai personnage de «screwball comedy», les comédies romantiques loufoques de l’âge d’or hollywoodien; une fois obligé d’assumer l’identité du tueur, c’est dans cette direction aussi que va progressivement le film.

Le long d’un semestre universitaire (comprimé en deux heures sans temps mort par un cinéaste funambule sur le fil du temps), la place que prennent Madison et Ron dans la vie de Gary amènent celui qui n’est, après tout, qu’un prof de philo célibataire, à questionner en profondeur son «moi», sa nature et son bonheur; mais la sincérité sans faille qu’il garde bien ancrée au fond de lui, quel que soit le costume, reste une boussole.

C’est elle, d’ailleurs, qui semble avoir aiguillé Richard Linklater et Glenn Powell à l’écriture de leur scénario formidable, à la fois immédiat et existentiel, où même la violence, toujours hors champ, est détournée en élément de comédie.

La réussite de Hit Man doit ainsi autant au cinéaste qu’à l’acteur, d’abord beau gosse régulier chez Linklater puis révélé au monde avec Top Gun : Maverick (2022), et qui s’est ici taillé un personnage définitif sur-mesure, dont il incarne les mille visages dans sa première vraie performance de star.

Et si celle-ci est l’une des principales qualités divertissantes du film, l’alchimie que Glenn Powell et Adria Arjona partagent à l’écran, elle cachant parfaitement ses secrets derrière une pétillante légèreté, a aussi son importance.

Quant à Richard Linklater, on reconnaît forcément un peu de lui aussi dans le prof de philo ordinaire dont il raconte l’impossible histoire vraie. Le temps d’une scène, voire d’un gag, il filme des personnages qui n’étaient jamais passés devant sa caméra auparavant, mais qui ne dépareillent pas avec le long parterre de «misfits» qui peuplent ses films.

Autant d’identités fantasmées dont la mise en scène même fait office de «punchline» finale. En réinventant l’histoire du vrai Gary Johnson, un policier de Houston as du déguisement, à La Nouvelle-Orléans, Richard Linklater – natif de Houston et dont la quasi-totalité des films a pour décor le sud du Texas – joue avec sa propre identité, et se métamorphose avec Hit Man en auteur de grande comédie romantique traditionnelle et faussement «mainstream». Un vrai délice, à apprécier actuellement en salles ou dès le 7 juin sur Netflix.

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