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[Critique ciné] Toujours vivante, toujours debout


Babyteeth se tient loin de tous les écueils qui pourraient le faire tomber dans le sentimentalisme bidon. (Photo : DR)

Shannon Murphy nous séduit avec sa comédie dramatique Babyteeth.

C’est un bijou qui vient d’Australie et qui envoie valser tous les clichés du film d’adolescent atteint d’une maladie incurable qui rencontre l’amour, sous-genre à part entière qui inspire depuis quelques années déjà les cinéastes indépendants, pour des résultats rarement satisfaisants. Babyteeth rejoint le méconnu Me, Earl and the Dying Girl (Alfonso Gomez-Rejon, 2015) comme rare exception face à la platitude du tire-larmes qu’a été le carton mondial The Fault in Our Stars (Josh Boone, 2014) et la vague de films et de séries qu’il a déclenchée. À la différence près que le film de l’Australienne Shannon Murphy, qui vient de sortir dans les salles du Luxembourg après son passage au LuxFilmFest en mars dernier, ne se range dans aucune case, à l’image des nombreux intertitres colorés qui tentent de diviser le film en chapitres et que la protagoniste, Milla, prend à revers.

Eliza Scanlen crève l’écran dans le rôle principal, celui d’une adolescente comme toutes les autres, à ceci près qu’elle est atteinte d’un cancer. Fille unique des Finlay, une famille bourgeoise – sa mère, Anna (Essie Davis), est pianiste, et son père, Henry (Ben Mendelsohn), psychologue – elle rencontre sur le quai d’une gare Moses (Toby Wallace). Lui est bien plus âgé, vit dans la rue et n’a comme occupations que les parties de basket avec ses potes, la vente de drogue (la prise, aussi) et les petits cambriolages. Pour rendre leur fille heureuse, les Finlay accueillent Moses chez eux, même si celui-ci devient vite leur pire cauchemar.

L’arrivée de Moses dans la famille devient le déclencheur, chez Milla, d’un mode de pensée qui va rapidement dynamiter le mode de vie confortable et bien sous tous rapports des Finlay. Le temps qui lui reste à vivre n’est pas le sujet du film. Il ne s’agit pas non plus de glorifier le personnage; avec Shannon Murphy, la scénariste, Rita Kalnejais, qui adapte ici sa propre pièce de théâtre homonyme, se tient loin de tous les écueils qui pourraient faire tomber Babyteeth dans le sentimentalisme bidon. Le film amène, grâce à une écriture précieuse, l’idée passionnante que le bonheur enfin trouvé par la protagoniste amène tous les personnages qui gravitent autour d’elle à se remettre en cause. Les parents questionnent le laxisme dont ils ont, ensemble, fait preuve dans l’éducation de leur fille; individuellement aussi, leurs rôles individuels de mari et de femme… Il en va de même pour Moses, évident «cas social», ainsi que pour les autres personnages, du prof de violon de Milla, déchiré par une peine d’amour, à la voisine des Finlay, célibataire et enceinte.

En étant extrêmement sincère, Babyteeth n’a pas besoin de forcer sur les thèmes difficiles qu’il traite. Le film est esthétiquement superbe, mais il se laisse glisser remarquablement en suivant ses personnages. La caméra, elle, reprend le rôle qu’elle devrait toujours avoir, celui de l’observateur honnête, laissant la place au spectateur d’apprécier l’œuvre dans son entièreté, en suivant fidèlement les personnages dans leurs mouvements et leurs angoisses. Quand elle interfère, c’est justement pour créer un effet comique (sans être une comédie, le film est souvent drôle) : Milla brise ponctuellement le quatrième mur en souriant à la caméra, comme on le ferait dans notre tête à quinze ans.

Son âge et sa maladie, d’ailleurs, sont traités sur le même pied d’égalité, comme caractéristiques du personnage plutôt que comme éléments perturbateurs dans le scénario. Milla est montrée indistinctement avec des cheveux courts, une perruque blonde, une perruque bleue, sans perruque. De même, elle peut paraître plus ou moins âgée selon les scènes. Rien de tout cela n’est exploité pour en faire la racine d’un discours bien-pensant (qui flirte bien souvent avec le nauséabond), le film allant jusqu’au bout de son authenticité en révélant les zones grises de chacun des personnages. Shannon Murphy peut être fière de son premier long métrage, véritable pari sur le papier, qu’elle a transformé en une réussite intemporelle, immanquable et visuellement astucieuse.

Valentin Maniglia

Babyteeth, de Shannon Murphy.

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