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[Critique ciné] «Devs» : Voyage au bout de l’envers


On vous invite à découvrir cette œuvre singulière et superbe qu'est Devs. (Photo : DR)

Avec l’impressionnant Ex Machina (2015), son premier film, le collaborateur, un temps, de son compatriote Danny Boyle (à l’origine de La Plage, il y avait un roman signé Garland, puis vinrent les scénarios de 28 jours plus tard et Sunshine) livrait un techno-thriller intelligent et filmé avec beaucoup de raffinement. Il y était question d’intelligence artificielle, d’intelligence humaine et des manœuvres manipulatrices qui liaient les deux. L’univers de Devs, première incursion d’Alex Garland dans le monde de la série télévisée – et avec une exigence certaine : il est producteur, scénariste et réalisateur des huit épisodes – n’est pas tellement éloigné de celui d’Ex Machina. Il en est même très proche.

Situé à San Francisco et dans la toute proche Silicon Valley, Devs suit Lily (Sonoya Mizono), informaticienne qui mène l’enquête après la mort de son compagnon, Sergei (Karl Glusman), apparentée à un suicide. Ils travaillaient ensemble pour la start-up Amaya, et Sergei disparaît après son premier jour auprès du projet Devs, branche de recherche ultrasecrète d’Amaya, dont le bâtiment est perdu au milieu d’une immense forêt. Lily se retrouve alors confrontée à Forest (Nick Offerman), le fondateur de l’entreprise, et à ses recherches confidentielles.

Avec Devs démarre une nouvelle page de la carrière d’Alex Garland, qui continue ici de poursuivre les thèmes et les réflexions amorcés dans Ex Machina, tout en tâchant de respecter les mécaniques narratives du format sériel. Tandis que la première ligne directrice est la source même de ce qui rend l’œuvre forte, la seconde la renvoie irrémédiablement sur des sentiers battus mille fois. Huit épisodes d’environ 50 minutes chacun, c’est avant tout un rythme à garder, et celui-ci est tenu par l’univers riche et hypnotisant de la série.

Une série à l’identité visuelle et sonore intense, aussi évidente qu’elle est schizophrène

La cohabitation d’une nature dense et verdoyante et de l’immuabilité glaciale de la technologie futuriste, les compositions dissonantes et ténébreuses de Geoff Barrow et Ben Salisbury – un mélange de chœurs et d’instrumentations électroniques, qui se fondent çà et là dans le design sonore – sont deux éléments qui donnent à ce monde une identité intense, aussi évidente qu’elle est schizophrène.

D’un autre côté, Devs n’échappe pas au piège tendu par les contraintes du découpage par épisodes. À l’inverse de l’idée générale de la série, qui favorise la compréhension par son esthétique éthérée, Alex Garland s’oblige, à l’approche du dénouement, à expliciter certains points – les plus prévisibles – dans de longs dialogues trop convenus. Ainsi, le dernier épisode (diffusé jeudi soir aux États-Unis), par ailleurs brillant, aurait, tout comme le chapitre précédent, gagné en puissance avec quelques paragraphes de dialogue en moins, et quelques minutes de réflexion métaphysique silencieuse en plus.

Au cœur de l’extraordinaire galerie de personnages anticharismatiques (un parti pris qui peut repousser), il y a Forest. Némésis de l’héroïne et croisement entre un Jésus «hipster» et Elon Musk, le personnage, dont on découvre peu à peu les secrets, est un jumeau moins maléfique que ne l’était Oscar Isaac dans Ex Machina. Ce monolithe autour duquel s’articule toute la série est la porte d’entrée de Garland à ses réflexions les plus pertinentes sur le génie humain, la manipulation et la dimension religieuse d’une figure néomessianique qui cherche à tout prix le contrôle absolu des évènements.

Dans l’industrie qui tourne à plein régime de la série télévisée, on peut se demander quelle est la place de la curieuse expérience visuelle et sonore qu’est Devs. Est-elle condamnée à être considérée comme une anomalie, ou bien aura-t-elle sa place au panthéon des grandes œuvres qui transcendent et réinventent l’expérience cinématographique ? Il est encore trop tôt pour le dire. Il n’est pas trop tard, en revanche, pour découvrir cette œuvre singulière et superbe.

Valentin Maniglia

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