Deux ans après avoir dévoilé sa première bande-annonce, c’est sur Prime Video que sort enfin Cut Throat City, le troisième film de RZA, dix ans après ses débuts de réalisateur (The Man with the Iron Fists).
En général, quand un long métrage met autant de temps voir le jour, c’est mauvais signe. Imaginez un peu ce que cela signifie de le lâcher, en plus, sur une plateforme digitale en plein milieu d’une pandémie. Avec Cut Throat City, cependant, la légende du rap et fondateur du Wu-Tang Clan offre une belle synthèse de ses deux précédentes œuvres, où il corrige ses erreurs du passé et prouve qu’il a mûri en tant que cinéaste et raconteur d’histoires.
La «ville coupe-gorge» du titre, c’est La Nouvelle-Orléans, loin de l’image colorée et pleine de vie que l’on connaît. Le touristique quartier français des images de carte postale et ses joueurs de jazz à chaque coin de rue n’a d’ailleurs que faire avec la réalité des habitants du Ninth Ward, quartier difficile où beaucoup encore n’ont toujours pas d’électricité ni d’eau potable. Si, après l’ouragan Katrina, la ville a été la grande oubliée de l’Amérique, alors le Ninth Ward était encore moins que ça : miné par la violence et la drogue, le quartier est devenu une zone de non-droit aux mains des gangs, et où le prix à payer est bien trop souvent celui du sang. Héros de Cut Throat City, Blink (Shameik Moore) n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de ces destins brisés qui peuplent les quartiers oubliés des métropoles américaines. Il a un talent, le dessin, et un rêve, celui d’être publié.
Le nom de son comic : Cut Throat City, une bande dessinée ultraviolente qui prend son inspiration dans la réalité de son quartier mais aussi dans ses références artistiques, qui vont de Charles Schulz à Quentin Tarantino (par ailleurs ami de RZA, et qui a droit à un amusant double hommage en ouverture du film, qui permet au réalisateur d’aborder en quelques répliques le sujet de la représentation des Noirs au cinéma et ses limites). Mais Blink doit essuyer le refus des éditeurs de le publier et retourne invariablement au même point de départ : le Ninth Ward et sa misère.
L’inspiration principale de son premier film était la même que celle du Wu-Tang Clan, élevée dans son rap à un niveau presque religieux : les films de kung-fu. Dans Cut Throat City, l’introduction animée, qui présage un film aussi décomplexé, est vite essuyée par le réalisme de la vie de l’immédiat après-Katrina et la gestion scandaleuse de la FEMA. C’est un film de braquage, où Blink et ses amis d’enfance se résignent à braquer des banques pour le compte du Cousin (T.I.), le dangereux chef de gang qui règne sur le «block», et les références et inspirations aux films de gang des années 1990, modèles importants de la culture hip-hop qui continue d’influencer les rappeurs du monde entier, sont importantes. Les apparitions de Wesley Snipes, Terrence Howard ou Isaiah Washington font figure de jolis clins d’œil, mais au-delà de cela, on retrouve cet intérêt dans les angles inhabituels de caméra et la volonté de mettre les personnages au premier plan pour mieux dérouler un discours sur le monde qui les entoure.
Il serait réducteur de considérer Cut Throat City comme un film de genre, ce qu’il n’est en aucun cas. RZA, grand cinéphile, va voir avec ce troisième film du côté de Spike Lee – qui avait par ailleurs réalisé deux superbes documentaires sur Katrina – et son mélange des genres au cœur d’un discours militant. Cut Throat City n’est pas un grand film, il assume même ses faiblesses (un scénario assez prévisible et parfois incohérent), mais il est porté par un savoir-faire qui mérite d’être remarqué et un superbe casting où jeunes premiers côtoient des stars. Plus sobre et plus riche, dans son discours, que les deux films précédents, et paradoxalement beaucoup plus décomplexé. Et, surtout, plus important.
Valentin Maniglia