L’Origine du mal
de Sébastien Marnier
Avec Laure Calamy, Dominique Blanc, Jacques Weber…
Genre thriller
Durée 2 h 05
Quand on parle de thriller psychologique à la française, un nom revient sur toutes les lèvres : Claude Chabrol. Le réalisateur, décédé en 2010, n’avait pas son pareil pour filmer la bourgeoisie de province qu’il critiquait avec cynisme, mordant et humour. Avec sa caméra, un peu voyeur, il racontait les angoisses de ces nantis et surtout, leur acharnement à conserver leur rang. Voilà aujourd’hui qu’arrive L‘Origine du mal, film qui se pose comme héritier de ces récits intimistes et troublants.
Son auteur, Sébastien Marnier, 45 ans, revendique d’ailleurs la filiation et l’appuie avec malice, y mettant beaucoup de son histoire familiale : celle de sa mère d’abord, sans nouvelle d’un père pendant longtemps, qu’elle n’a retrouvé que tardivement pour découvrir que c’était un banquier de droite. Un choc pour cette communiste convaincue, témoigne le cinéaste. Et par ruissellement, la sienne aussi, lui, le «prolétaire» plongé dans le monde du cinéma, fait de strass et de paillettes.
Derrière l’anecdote, c’est toute une méthode de travail qu’il défend : celle de placer, dans une structure qui semble fonctionner par elle-même, un élément perturbateur. Un grain de sable dans une mécanique bien huilée qui, chez lui, prend la forme de transfuge de classe. Ainsi, dans son premier film (Irréprochable, 2016), le personnage de Marina Foïs essaye en vain de refaire sa vie à Paris. Dans le suivant (L’Heure de la sortie, 2018), c’est celui de Laurent Lafitte qui se retrouve propulsé dans un monde qui lui est inconnu.
Un procédé devenu signature que l’on retrouve dans ce nouveau long métrage, avec cette fois-ci, en guise d’appât, Laure Calamy, ses yeux bleus mouillés, sa naïveté touchante, son charme naturel désarmant. On la retrouve ouvrière au SMIC dans une conserverie de poissons, et visiteuse de prison où croupit sa compagne. Vite, on apprend qu’elle essaye de revoir son père (Jacques Weber), homme ayant fait fortune dans les hôtels et restaurants, qu’elle n’a jamais connu. Elle va renouer avec lui et rejoindre cet aristocrate établi sur l’île de Porquerolles.
Au cœur d’une luxueuse villa située en bord de mer, saturée de cartons, d’œuvres d’art et d’animaux empaillés, elle va découvrir, sur fond de lutte anticipée pour l’héritage, une famille en pleine déliquescence : une épouse qui noie son ennui dans le téléachat (Dominique Blanc), sa fille autocentrée qui ne rêve que de reprendre les rênes professionnelles du père (Doria Tillier), une adolescente mystérieuse (Céleste Brunnquell) et une étrange femme de chambre (Véronique Ruggia Saura). Cinq femmes, un homme, des suspicions et mensonges en pagaille : le mystère s’installe et le mal se répand…
L‘Origine du mal pourrait tenir à une seule phrase, lâchée par la plus jeune du clan : «Pour moi, la famille, c’est ce qu’il y a de pire au monde. C’est comme un poison qu’on a dans le sang, qui contamine et qui rend malade…». C’est elle, finalement, qui a le plus recul, toujours en retrait, cachée derrière son appareil photo. Dans sa tête, elle est déjà loin de ce palais hanté et toxique. Les autres s’y accrochent, coûte que coûte. Et tous les coups sont permis! Qui ment, qui manipule qui? Le scénario navigue entre non-dits et faux-semblants. Et dans ce sac de vipères, personne n’est victime ni bourreau.
Sur la forme, Sébastien Marnier porte son film comme un conte. Un petit théâtre avec son décor rococo, sa galerie de monstres et sa musique oppressante qui amène la tragédie. Mieux, avec ses zooms appuyés et ses «split screens», il impose une patte d’auteur plutôt bien vue. Sur le fond, L’Origine du mal, ancré dans son époque, évoque le naufrage du patriarcat.
Face à un joli casting d’actrices intergénérationnel, le seul homme est Jacques Weber, pour lequel on a d’emblée de la sympathie, avant que les choses ne se gâtent et que l’on ne découvre son vrai visage (il a notamment donné à ses filles des prénoms de garçons). Parmi elles, une fois encore, Laure Calamy s’impose à l’écran tout en nuances. Dans ce thriller vénéneux en forme de jeu de massacre, elle n’est pourtant pas la dernière à semer le «mal». Mais comme une habitude, on a tendance à tout lui pardonner.
La famille, c’est ce qu’il y a de pire au monde