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[Concert] Front 242 régale à domicile 

Au beau milieu du concert, une chanson. Martiale et puissante, comme toutes les autres, mais plus marquantes. Operating Tracks est la madeleine de Front 242, celle qui ouvre leur premier album (Geography). Celle qui a lancé en 1982 une aventure qui n’en finit pas.

Au point d’étonner toujours l’inamovible Jean-Luc De Meyer. «Quarante ans que l’on est là, et vous aussi. Nom de Dieu!», lâche l’homme au crâne lisse, 65 ans au compteur, dont la maladie l’année dernière a été le seul frein d’une tournée menée tambour battant depuis août 2021 et la fin du calvaire sanitaire.

Si le groupe (pour peu qu’on puisse le qualifier ainsi) jouit d’une belle popularité aux États-Unis et, plus près, en Allemagne, en Espagne et en France, c’est à domicile que la ferveur est toujours la plus sensible. Pour preuve, L’Entrepôt à Arlon affichait complet depuis belle lurette, soit plus de 300 personnes réunies vendredi pour une grand-messe synthétique, célébrant un enfant du pays qui a certes pris des rides, mais reste vaillant. Le remuant Richard Jonckheere, autre pilier et lui aussi la soixantaine, micro en main et aux déhanchés interminables, en est une preuve bien vivante.

En Belgique et plus loin, Front 242 est un mythe singulier, trop underground, conceptuel et provocateur pour rallier beaucoup de monde à sa cause et autour d’un style qu’il a inventé au début des années 80 : l’EBM (Electronic Body Music), mélange de sons et collages divers, dynamités par des synthétiseurs vigoureux, des rythmes qui claquent et des chants minimalistes qui se mêlent en écho, tenant parfois plus de la psalmodie et du slogan. Quatre décennies et une dizaine d’albums plus tard, l’ADN industriel reste le même, et les racines vivaces. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de ce genre de show «anniversaire».

Si le quatuor (en comptant le maître des machines Patrick Codenys, et Tim Kroker, batteur posé derrière son set électronique comme un «hortator» de galères romaines) revient régulièrement aux bases, le public, lui, a su se réinventer au fil du temps. On aurait pu croire à un défilé gothique. Il n’en est rien.

Si quelques spécimens font de la résistance, l’assemblée brasse toutes les générations et toutes les intentions. Au centre, des jeunes amateurs de pogos, et en périphérie, les plus anciens, bière à la main et téléphone dans l’autre. Un passage de relai beau et cruel à la fois.

Sur scène, par contre, Front 242 fait dans le tout nostalgique assumé, avec beaucoup de morceaux «datés», période 1981-89, et peu de «sang neuf», comme il le dit. Des lunettes aux brassards en passant par l’uniforme, d’un noir impénétrable, tout est là pour rappeler les origines, jusqu’au gants «coupe américaine». Avec leurs lampes torches, agitant le morceau d’ouverture Fifo, on aurait même cru à des vigiles échappés de la gare d’à côté… Cela dit, musicalement, le collectif modernise ses élans, toujours à la pointe en matière de son analogique, d’image et d’énergie.

Justement, en un peu moins d’une heure et demie, Front 242 a montré qu’il savait toujours autant y faire, enchaînant sans temps mort vingt titres, dont les classiques Headhunter et Welcome to Paradise, tirés de l’indémodable Front by Front (1988) et toujours les préférés du public. De quoi donner des envies de renouer avec la légende, aux contours parfois nébuleux, comme le propose l’imposante biographie concoctée par Eric Duboys (Catch the men, 2022). Un pavé de 650 pages, c’est le bien le minimum pour remonter plus de quarante années de danse et de concept. Nom de Dieu !

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