Il sera le premier à donner un concert à grande échelle au Luxembourg : Serge Tonnar occupera la scène de la Rockhal, vendredi soir, devant 1 000 personnes. Entretien serein en amont du retour au «live» tant attendu.
Depuis Muer ass ofgesot («Demain est annulé»), chanson qui clôturait une lugubre année 2020, Serge Tonnar a retrouvé le sourire et l’intention. On le comprend : vendredi soir, à la Rockhal, il retrouvera ce public qui lui a tant manqué. L’espoir recouvert, il parle du concert à venir comme marquant «la fin de quelque chose et le début de quelque chose de nouveau».
Après cinq concerts tests tenus en février, la salle d’Esch-sur-Alzette poursuit ainsi l’opération «Because Music Matters» en voyant plus grand. Ce seront 1 000 personnes qui se tiendront face à Serge Tonnar, pour le premier concert à grande échelle depuis le début de la pandémie dans le pays. Sous certaines conditions, bien sûr, à commencer par un dépistage antigénique avant l’entrée en salle, puis un test PCR à faire sept jours plus tard. Le prix de ce dernier est compris dans le billet, précise le musicien. «C’est peut-être un peu désagréable pour les gens de faire toutes ces démarches, mais ils participent ainsi à une expérience qui ouvrira les portes vers d’autres choses», espère-t-il. Et d’ajouter, en riant : «Ce qu’on fait, c’est vraiment un “concert test” !»
À une poignée de jours de son retour sur scène, le «Bommeleeër Buddha» partage avec Le Quotidien son soulagement et son excitation. L’occasion aussi, pour lui, de dresser le bilan d’une période noire mais bien remplie.
Tout s’est passé très vite pour vous, début mai : les nouvelles mesures ont été annoncées le mercredi 5, le concert dès le lendemain, et les places ont été mises en vente avant le week-end. Comment avez-vous vécu ces trois jours ?
La Rockhal est en contact avec les responsables politiques et les responsables de la santé pour voir quel évènement était faisable, et sous quelles conditions. Elle travaille depuis un certain temps sur le projet. L’idée était d’avoir un concert test comme il y en a eu à l’étranger. Avec les mesures qui s’annoncent de semaine en semaine, il faut rester flexible. Cela s’est donc fait très, très vite, et quand on m’a demandé si j’étais partant pour l’aventure, j’ai immédiatement répondu oui. À partir de là, on a dû prendre toutes les décisions en une journée, pour l’organisation, la mise en vente des places… C’était une aventure! Mais on espère tous que des initiatives comme celle-ci puissent ouvrir la porte vers plus de convivialité. Faire la fête, passer des moments culturels ensemble, ça nous a manqué à tous.
Dans le clip promotionnel, vous montez sur la scène de la Rockhal et vous vous retrouvez devant une salle vide, avant de vous réveiller dans votre lit. C’est la fin d’un cauchemar pour vous ?
(Il rit) Oui, un peu ! J’ai eu cette idée amusante pour le clip, mais c’est vrai que c’est cela que ça symbolise : la fin d’un cauchemar. Je l’espère en tout cas, car c’est encore très compliqué. La situation pour les concerts est encore loin d’être idéale…
Ce concert a une autre symbolique : vous avez été le premier au Luxembourg à lancer des initiatives en ligne contre l’arrêt de la culture, avec le Live aus der Stuff, puis la plateforme KulturKanal (KUK), et vous voilà maintenant le premier à remonter sur scène pour un concert à grande échelle…
Disons que c’est un hasard que la Rockhal m’ait demandé ça à moi… (Il rit.) Il est vrai qu’après le début du confinement, je ressentais le besoin de lancer ces idées, j’avais cette énergie d’aller contre l’isolation et l’arrêt de l’art scénique. Mais la scène, on ne peut pas la remplacer par du digital. Sur le KUK, on fait des projets qui ne sont possibles qu’en digital. On ne diffuse pas de concerts en streaming gratuit. Je trouve qu’on en a assez de ça. Il faut revenir au live, sinon on détruira beaucoup de choses. Ce qui fait que la musique est quelque chose de spécial, ce sont ces moments que l’on passe ensemble dans un lieu et dans un moment magique, qui ne peut pas être remplacé. Moi-même, j’ai hâte d’y retourner.
On commence à voir un peu de lumière au bout du tunnel, mais il reste un grand point d’interrogation au-dessus de l’avenir des carrières musicales
Vous avez aussi l’un des premiers à marteler que les lieux culturels n’étaient pas vecteurs de la propagation du Covid-19. Il a fallu près d’un an au Luxembourg pour qu’on l’accepte. Ailleurs en Europe, on campe sur ses positions. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Pour les artistes et le public, c’est la catastrophe. Mais une propagation fulgurante du virus serait une catastrophe plus grande encore. On est tous prêts à faire des concessions dans nos libertés, mais au niveau européen, on n’a pas vu de coordination sur les mesures sanitaires. Au Luxembourg, on a eu beaucoup de chance avec l’ouverture des théâtres, des cinémas et des salles de spectacle avant le deuxième confinement déjà, puis depuis le début de l’année. Il faut dire que le gouvernement a assez vite réagi pour rendre possible, malgré les limitations, le spectacle vivant. Mais pour la musique, beaucoup moins, c’est vrai. Et pour les artistes, c’est toujours difficile car on a encore très peu d’engagements. Il n’est même pas possible de jouer dans de petites salles privées ou des bistrots, ni même dans des lieux insolites, comme j’ai pu le faire auparavant. On commence à voir un peu de lumière au bout du tunnel, mais il reste un grand point d’interrogation au-dessus de l’avenir des carrières musicales.
L’année passée, on vous a aussi entendu militer pour un “autre Luxembourg”. La pétition que vous aviez lancée n’a pas obtenu les 4 500 signatures requises pour être discutée à la Chambre des députés, mais vous croyez toujours en ce “pacte entre l’État et la société civile” ?
Quand j’ai lancé ça avec mon épouse, on était dans le premier confinement, en mai 2020. À ce moment-là, la pandémie monopolisait complètement le débat public et la place dans les médias, et on perdait de vue les questions essentielles de la société : pourquoi veut-on être en bonne santé ? Pourquoi l’humanité veut survivre ? Qu’a-t-elle de plus beau qui vaille la peine qu’on se batte ? Donc on a fait un programme qui touche à tous les domaines pour proposer de revenir au débat essentiel, pour une société plus juste, plus durable, plus équitable. On n’a pas eu assez de signatures pour provoquer le débat à la Chambre des députés, et le Premier ministre s’est contenté de répondre en deux phrases, typiquement dans le style de la “politique politicienne”, pour dire qu’il faisait déjà tout cela. Depuis, on a constaté que les problèmes restent les mêmes. Je ne sais pas si on a eu assez de temps ou assez de misère pour changer radicalement de cap. Peut-être que l’homme ne commence à changer que lorsqu’il est complètement au bout du rouleau. Tout le monde espère revenir à la normale, mais ce ne sera pas possible de toute façon. On relancera peut-être cela si tout redevient vraiment comme avant. Il faudra bien réaliser à un moment qu’il y a des choses qui doivent changer.
Entre les deux confinements, vous aviez émis l’idée de monter un festival quand la situation sanitaire le permettrait. C’est toujours d’actualité ?
J’ai deux, trois engagements pour l’instant, mais rien de fixe. Ça ne fait pas de sens de planifier longtemps à l’avance : cela impliquerait d’investir beaucoup de temps et de moyens dans la préparation d’un concept qui pourrait ne pas avoir lieu. Quand on doit vivre de son art, on ne peut pas se permettre de prendre ce risque. J’espère qu’on y verra plus clair à la fin de l’année. Là, on saura ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Car, outre les mesures à respecter, il y a aussi le choix pour les artistes de vouloir jouer ou pas dans des conditions qui ne sont pas celles que l’on espère : être près du public, être sans distance… Si cela n’est plus possible, je devrai moi aussi me poser la question : est-ce que j’ai envie de continuer à travailler comme ça ?
Si vous deviez faire le bilan de cette longue période, ce que vous en retireriez, c’est cette capacité à vous adapter ?
C’est vrai qu’elle a été très stimulée pendant cette période (il rit), mais ça a été le cas pour beaucoup de gens, dans tous les métiers. Toutes les crises donnent l’occasion de repenser et reformuler les projets. Cela dit, à un certain moment, il faut quand même commencer à voir à plus long terme et ce, sans en changer les conditions. Sinon, ça ne sert à rien.
Entretien avec Valentin Maniglia
«Serge Tonnar Live», vendredi à 20h.
Rockhal – Esch-sur-Alzette.